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partisan de la politique abstentioniste quand elle nous menait en prison ou au gibet. Aujourd’hui qu’elle est facile et sans danger, je n’en veux plus, parce qu’elle nous empêcherait de marcher en avant. Députés, nous sommes les soldats du pays, et il ne nous est point permis de déserter notre posté. »

Ce discours, dont une traduction très abrégée ne peut rendre la forte éloquence, fit une profonde impression sur l’assemblée, quoique celle-ci fût portée d’avance pour les mesures extrêmes et pour cette attitude d’hostilité radicale que M. Smolka vint ensuite défendre à la tribune. « Mon ami M. Ziemialkowski, dit M. Smolka, pense qu’il faut envoyer une députation à Vienne. L’expérience du passé me porte à être d’un avis contraire. J’ai siégé au Reichsrath depuis 1861. Cette année-là et l’année suivante, j’ai proposé de déposer notre mandat parce que je savais que nous n’obtiendrions rien. D’autres députés sont allés à Vienne, croyant faire mieux que nous. Que nous ont-ils rapporté ? Des augmentations d’impôt et la fameuse constitution de décembre, qui met fin à tout espoir d’un meilleur avenir. On prétend qu’il faut que nous allions au Reichsrath pour améliorer la constitution et pour dire leurs vérités aux ministres. Voilà ce que prétend mon ami M. Ziemialkowski et ce que veulent les adresses envoyées au prince Sapieha ; mais c’est tout ce que désire le ministère. Notre présence à Vienne lui suffit. On nous laissera parler en toute liberté ; puis on passera à l’ordre du jour, sans égard pour nos discours, nos vœux et nos récriminations. Je ne veux pas rendre notre députation responsable du refus hautain opposé aux demandes votées par notre diète pendant la dernière session. Ce refus, il fallait s’y attendre, il était inévitable ; mais ce que je reproche à nos députés, c’est de s’être tu quand ils auraient dû parler, c’est-à-dire quand on a voté la loi militaire et surtout quand on a justifié l’état de siège à Prague. Ce silence nous a fait un tort moral plus grand que toutes les souffrances matérielles dont nous avons à nous plaindre. Nous nous sommes tu, nous qui avons écrit sur notre drapeau : pour notre liberté et pour la vôtre, et nous avons laissé, ô honte ! à l’abbé Greuter l’honneur de défendre une nationalité opprimée. Que nous a valu notre condescendance envers les ministres et les Allemands ? De nouveaux impôts et une armée de 800,000 hommes. En 1848 et en 1861, nous avions des amis, et nos ennemis nous respectaient. Nos lâches concessions, faites dans l’intérêt du ministère, ont eu pour résultat que les Allemands nous méprisent, quoique la députation ait été à leurs ordres, et que les nationalités, opprimées comme nous et réclamant comme nous leur autonomie, nous délaissent et s’éloignent de nous. Quoique notre diète et notre députation n’aient pas su agir avec énergie, il est temps encore de sauver notre honneur et notre avenir, car telle est la force