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races, s’appesantissait ici avec d’autant plus de rigueur qu’il s’agissait de comprimer une opposition plus enracinée et plus irréconciliable.

A partir de 1840, cette opposition prit un caractère nouveau. Une partie des Polonais, s’ouvrant aux idées modernes, comprit que, pour faire triompher leur cause, il fallait rattacher les classes inférieures à la noblesse, et que le seul moyen d’y parvenir était d’adopter un programme libéral et démocratique. Ils ne reculaient pas devant la réforme sociale. La terre aux paysans, tel fut leur mot d’ordre. Le gouvernement autrichien, qui avait puisé sa force de résistance dans l’hostilité des classes, voyant qu’on allait retourner contre lui l’arme dont il s’était servi, répondit par la jacquerie de 1846. Les massacres des propriétaires, tolérés et même encouragés par les chefs de district[1], soulevèrent dans toute l’Europe un sentiment d’horreur et de réprobation. De fureur et de désespoir, les Polonais, afin de se venger de l’Autriche, songèrent un moment à se jeter dans les bras de la Russie. M. le marquis Wielopolski publia la Lettre d’un gentilhomme polonais à M. de Metternich, qui fit une si grande sensation à cette époque, et où il déployait hardiment la bannière du panslavisme. Les conservateurs autrichiens dans leur aveuglement venaient de commettre encore une de ces fautes qui perdent les états, et bientôt ils allaient la renouveler pour étouffer le mouvement national des Magyars en permettant à Paskiéwitz de prononcer cette parole funeste : ô grand tsar ! la Hongrie est abattue à vos pieds. — Heureusement que les Polonais n’adoptèrent pas le programme panslave de Wielopolski ; s’ils l’avaient adopté, c’en était fait de l’Autriche.

Les événemens de 1848 éloignèrent de nouveau la Galicie de la Russie. Muette, sombre, asservie, elle subit comme les autres provinces la période de réaction qui suivit la restauration du trône des Habsbourg par les armes russes. Durant les maladroits essais de régime représentatif qui furent ébauchés entre Solferino et Sadowa, les représentans de la Galicie se prononcèrent toujours pour le fédéralisme. Le ministère Belcredi est le seul qui ait eu vraiment leur sympathie, bien qu’on leur reproche de ne pas l’avoir soutenu avec assez de vigueur. Après l’introduction du dualisme et l’arrivée au pouvoir de M. de Beust, leur attitude fut d’abord hésitante. Ils ne pouvaient approuver une constitution qui ne leur accordait pas l’autonomie

  1. Les chefs des districts où la jacquerie avait le mieux réussi furent promus à des postes plus élevés. L’un de ceux-ci, devenu préfet de police à Lemberg après 1846 et élu député à la diète en 1861, vit son élection cassée malgré tous les efforts du président de l’assemblée et du gouvernement, M. Golcjewski, actuellement député au Reichsrath, avait accusé l’ancien chef de district d’avoir favorisé les massacres de 1846, et l’assemblée considéra ce fait comme démontré.