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peut y distinguer trois phases. Après chacune d’elles, la lutte s’étend et devient plus vive. A l’origine, l’opposition était concentrée dans les diètes et avait peu d’écho dans la population. En 1848, elle gagna tout le pays, et, pour la tenir en échec, le gouvernement appuya les réclamations des Ruthènes. Enfin c’est au sein même du Reichsrath, au parlement central, qu’il s’agit maintenant de transporter la guerre. Pour faire comprendre la situation présente, il faut résumer cette curieuse histoire.

La première diète galicienne fut convoquée en 1782, dix ans après le partage, sept ans après la promulgation des lois nouvelles. Comme elle montrait peu de sympathie pour le gouvernement autrichien, elle ne fut plus réunie jusqu’en 1817. Elle était composée de dignitaires ecclésiastiques et de membres de la haute aristocratie siégeant en nom personnel, des représentans de la noblesse payant 300 florins d’impôt foncier, et des délégués de la ville de Lemberg. La bourgeoisie des autres villes et le peuple de la campagne n’y étaient donc nullement représentés. Ses attributions étaient restreintes. Elle avait à voter des mesures d’intérêt provincial, certaines taxes, et elle pouvait aussi émettre des vœux. C’est ce dont elle ne se fit pas faute. Depuis 1828 jusqu’en 1847, à chaque session s’élevaient les plaintes les plus vives contre les abus que protégeait le gouvernement de Vienne, et d’instantes réclamations en faveur d’une amélioration de l’enseignement universitaire, de l’instruction primaire et du système d’impôts. Ces demandes sans cesse renouvelées n’aboutissaient à rien : ou elles rencontraient un refus formel, ou elles étaient enterrées sous des formalités et des retards interminables.

Le gouvernement autrichien eut recours à un système de compression dont l’effet aurait pu être bien plus grand que celui des moyens violens employés en Russie pour empêcher la Pologne de renaître. On entretint soigneusement l’ignorance et la superstition, on s’opposa aux efforts des Polonais pour les dissiper. Imitant les autres aristocraties, les seigneurs galiciens n’avaient point fait ce qu’il aurait fallu pour conquérir la sympathie de leurs vassaux et celle des Ruthènes. Les fonctionnaires autrichiens se posèrent en défenseurs des paysans et les excitèrent contre leurs maîtres. Le commerce, l’industrie, ne rencontraient que des entraves, et ne pouvaient se développer. Privée de tout encouragement, même du crédit foncier que les propriétaires galiciens avaient en vain demandé d’établir sur le modèle de celui que possédait la province prusso-polonaise de Posen, l’agriculture ne faisait guère de progrès. La presse était bâillonnée par la censure préventive. La littérature nationale était proscrite, car elle eût évoqué l’ombre de la grande patrie. En un mot, ce despotisme sourd, qui dans tout l’empire étouffait l’essor des diverses