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de domination universelle et ruinant ses sujets pour en faire les soldats d’une colossale armée agressive, ce serait certainement un grand malheur pour l’humanité tout entière.

Ces éventualités peuvent paraître éloignées ; ce qui est certain et actuel, c’est que l’Autriche est engagée dans la question d’Orient par ses Slaves du sud, et par ses Slaves du nord dans la question de la Pologne. Le dualisme satisfait le parti dominant en Hongrie, et en réalité, par l’habileté avec laquelle les Magyars ont su manier l’informe mécanisme des délégations, ce sont eux maintenant qui ont dans leurs mains le sort du ministère des affaires communes, qui par conséquent dominent dans l’empire-royaume. Quant aux Slaves, plus nombreux à eux seuls que toutes les autres races réunies, ils sont loin d’être aussi contens que les Magyars. Ils réclament avec une persistance indomptable et une énergie croissante la part d’influence qui leur revient, et que certes ils ne possèdent pas. Dans une étude précédente, nous avons fait connaître les griefs et les aspirations des Slaves méridionaux. Comme ils sont sous la couronne de saint Etienne, c’est le cabinet de Pesth qui a dû négocier avec eux. Quoiqu’il n’ait pas fait en faveur du développement de la civilisation jougo-slave tout ce qu’il aurait pu et dû faire, il a du moins fait adopter un compromis qui a donné satisfaction aux principales réclamations des Serbes et des Croates. Le ministère cisleithanien s’est montré moins habile ou plus récalcitrant que le cabinet Andrassy ; il n’est parvenu à s’entendre encore ni avec les Tchèques ni avec les Polonais. Or c’est en Bohême et en Galicie que s’accumulent aujourd’hui les nuages qui recommencent à obscurcir l’horizon un moment éclairci de l’empire. La situation de la Bohême et les dangers qui peuvent venir de ce côté ont été récemment exposés ici par M. Saint-René Taillandier avec une clarté et une justesse d’appréciation auxquelles il n’y a rien à ajouter[1]. Je ne puis qu’appuyer ses conclusions, qui s’imposent, semble-t-il, d’elles-mêmes, tant il a su les rendre évidentes. J’essaierai à mon tour de faire connaître la situation de la Galicie, et l’examen des questions qui s’y agitent me conduira pour ainsi dire forcément à préconiser les mêmes remèdes, à indiquer les mêmes solutions.


I

Pourquoi y a-t-il une question galicienne venant troubler les travaux du ministère cisleithanien et entraver la reconstitution de l’empire constitutionnel ? Parce que la Galicie est un fragment du

  1. Voyez, dans la Revue du 1er août 1809, l’Autriche et la Bohême en 1869, la question tchèque et l’intérêt français, par M. Saint-René Taillandier.