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pour libre, puisque personne ne saurait démontrer qu’elle n’aurait pas pu être autre qu’elle a été. C’est là ce qu’il ne faut pas oublier quand on juge l’histoire, et encore moins quand on agit pour l’histoire. On doit résister à la tentation facile de se croire à aucun degré responsable des événemens. On n’est jamais plus porté à le faire qu’en temps de révolution, et je crois au contraire que c’est en temps de révolution, alors que les règles et les coutumes, dignes ordinaires de l’action, sont emportées, que l’intelligence et la volonté des individus exerceraient le plus d’influence et modifieraient le plus puissamment les faits, si les hommes ne choisissaient d’ordinaire ce moment pour abdiquer devant la force des choses. Comme nous le disions en commençant, toutes les doctrines de fatalisme ne laissent de liberté qu’aux passionnés et aux audacieux.

Il faudrait suivre pied à pied la révolution française pour appliquer ces idées à son histoire. Il faudrait l’étudier homme par homme, événement par événement, pour essayer de déterminer quelle a été la part dans chaque résultat des accidens ou des fautes, et, même avec cette étude sérieusement faite, le jugement serait bien hardi à prononcer. Toutefois ceux de mon âge ont vu six révolutions, une en 1814, deux en 1815, une en 1830, une en 1848, une en 1851. Il n’en est aucune qui n’ait eu des causes générales, aucune dont on ne prouvât qu’elle pouvait être évitée. Pourquoi n’en serait-il pas de même des crises de la première période de la révolution française ?

Bornons-nous à l’idée pratique qui ressort de ces considérations. Le but politique de la révolution française a été manqué. Ce but, c’était la fondation d’un gouvernement de liberté, le seul qui fût digne de la société nouvelle pour qui s’accomplissait la révolution, car cette société, il n’est pas vrai que ce soit la révolution qui l’a faite. Elle l’a servie, mais elle l’a trouvée telle que le temps l’avait produite. Les siècles, qui avaient tant fait pour la société, n’avaient rien fait pour le gouvernement. L’ordre social, la révolution n’avait presque qu’à le proclamer ; l’ordre politique était à créer. La question reste donc posée : quel devait être cet ordre politique ? Quel était le gouvernement — but de la révolution ? Que les marques de la honte soient gravées sur le front de quiconque sépare la révolution française de la liberté. Si elle n’a pas eu la liberté pour but, si ce but, elle ne l’atteint pas, c’est la plus criminelle des folies, la plus stérile des aventures. Qu’a-t-elle donné à la France, hors de la liberté politique, que la France ne pût obtenir sans elle ? Il suffisait que la monarchie administrative de Louis XIV fît un pas de plus.

C’est donc de la liberté politique qu’il s’agit. On ne lui connaît