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l’admiration qu’inspirent à quelques-uns les subtils et pervers conseils que Mirabeau vendait avec tant de solennité à Louis XVI, à la reine, plus heureuse encore de l’avilir que de le gagner. On croirait par momens lire les rêveries d’un littérateur subalterne qui n’a pas pratiqué les hommes, et qui croit que, pour vaincre les passions, la corruption suffit. Comment se figure-t-il, lui, le génie de 89 personnifié, qu’on puisse acheter la révolution française ? Comment lui, cet observateur si clairvoyant de la nature humaine, peut-il se flatter de convaincre la timide honnêteté de Louis XVI, de soumettre la fierté de Marie-Antoinette, et de se rendre maître de leur esprit au point de les entraîner sous sa conduite au milieu des plus grands périls ? Le cardinal de Retz était moins insensé de croire qu’il séduirait Anne d’Autriche. En vérité, on serait tenté quelquefois de supposer que Mirabeau s’inquiétait peu de la royauté et de la révolution, et ne songeait plus qu’à gagner son salaire.

Mais qu’on essayât de rallier la cour à une politique loyalement constitutionnelle comme Lafayette ou tortueusement libérale comme Mirabeau, l’effort devait échouer également. C’était une lutte engagée de part et d’autre par la défiance, et qui ne devait qu’accroître encore, irriter encore la défiance. En cachant celle que provoquaient les préjugés de la cour et ceux du peuple, on ne faisait qu’aliéner davantage ceux qu’on ne persuadait pas, et les ressentimens s’aigrissaient des deux côtés. Les conciliateurs de toute nuance, les modérateurs de toute origine, compromis par les espérances qu’ils avaient feint de concevoir, soupçonnés pour une sécurité qu’ils n’avaient pas, virent s’éloigner d’eux le peuple révolutionnaire, et le parti de 89 se fendit en deux fractions séparées par un abîme bientôt rempli de sang jusqu’au bord.

Il ne faut jamais excuser le mal, mais on peut l’expliquer. Je crois donc, avec un éloquent et courageux écrivain, que la source première de tout ce qui a égaré et souillé la révolution française, c’est la défiance, une défiance profonde, opiniâtre, implacable. La royauté ne croyait voir dans les auteurs de la révolution que des traîtres ; pour le peuple, la trahison se cachait aux Tuileries. Et disons-le avec douleur, d’un côté la défiance était naturelle, de l’autre elle était fondée. Assurément, lorsque l’immense majorité des constituans protestait qu’ils voulaient la royauté et le roi, ils disaient plus vrai que le malheureux prince en prononçant sa déclaration du 18 avril 1791 ou en faisant écrire la dépêche du 23 ; mais lui ne pouvait les croire, eux ne pouvaient le dénoncer. De là une situation d’une fausseté irrémédiable. Là est le mal, le mal mortel. On le cherche dans les institutions, on s’en prend à la constitution de 1791. Si la constitution a désarmé le pouvoir royal, la cause