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Un seul instant Malouet et ses amis ont-ils pu se flatter que le roi fût avec une conviction sincère, éclairée, ferme, du même avis qu’eux ? Un seul instant ont-ils pu douter qu’il ne prêtât aussi facilement l’oreille à toute proposition spécieuse de le faire rentrer dans la plénitude de sa souveraineté ? Un seul instant ont-ils pu s’assurer que les armes qu’ils pourraient lui fournir ne seraient jamais tournées contre eux ? Ils voulaient une monarchie constitutionnelle, et il ne leur manquait qu’une chose, un monarque constitutionnel.

Le malheur et la mort ont sanctifié Louis XVI, ou plutôt il a lui-même rehaussé ses malheurs et consacré sa mort par de hautes et touchantes vertus ; mais sa conduite comme roi ne peut être absoute par l’histoire. Avec ses croyances, ses scrupules, ses principes, il n’aurait dû opposer aux sommations de la révolution qu’une résistance à outrance, ou si, découragé par l’inutilité d’un tel effort, il voulait interroger sa conscience, il devait reconnaître ce que disent de lui ses plus zélés panégyristes, qu’il avait toutes les vertus de l’homme privé, — et alors il lui restait un recours assuré, c’était la vie privée. L’abdication était le moyen certain d’accorder sa conscience et sa conduite. Il ne paraît pas que l’infortuné y ait un moment pensé. Sa famille et sa patrie y auraient gagné de grands malheurs et de grands crimes de moins. Pour cela, il aurait fallu ne se croire qu’un homme. Le préjugé qu’on peut appeler le préjugé de roi n’est pas le moins dangereux de tous. C’est lui qui, perpétué par la triste éducation donnée depuis cent ans aux princes de sa maison, persuada au scrupuleux Louis XVI que l’honneur de sa race l’obligeait à violer la loi sociale par des intelligences secrètes avec l’étranger, la loi morale par la dissimulation et le mensonge. On peut ne pas appeler ces deux actions d’un nom sévère ; mais à coup sûr elles ne sont pas de la vertu.

Ainsi le caractère et la conduite du roi réduisaient tous les honnêtes gens qui voulaient concilier la dynastie et la liberté, la monarchie et la révolution, à se persuader, malgré l’évidence, que cette conciliation était facile, à s’en faire à eux-mêmes l’illusion, à l’imposer aux autres. D’abord Malouet et Lally, puis Lafayette et Larochefoucauld, puis Mirabeau et Talleyrand, puis Lameth et Barnave ont été poussés à prendre pour base d’opération, dans la plus périlleuse des entreprises, une hypothèse à laquelle ils ne pouvaient croire, et à prétendre dompter une révolution formidable à l’aide d’une fiction constitutionnelle, quand la constitution n’existait pas, et dont l’artifice, difficile à maintenir même alors qu’elle eût existé, n’était accepté ni du roi ni du peuple.

M. de Lafayette a expliqué avec autant de netteté que de