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« Vous compterez pour cela sur vos ministres ; on vous dira que vous êtes maître de les choisir, mais ce choix sera toujours forcé. Non-seulement vous ne serez pas libre de les prendre dans tel ou tel parti, mais, dans le parti où vous devrez nécessairement les prendre, l’homme que vous devrez désigner pour premier ministre vous sera imposé, et ce sera souvent l’homme qui aura attaqué avec le plus d’éclat et de persistance vos principes, votre conduite et vos amis.

« On vous dira que vous pouvez renvoyer vos ministres, et ce ne sera pas vrai : ce sera l’assemblée élective qui les renverra malgré vous, et, si vous tentez de les éloigner ou de les garder malgré elle, vous serez obligé de la dissoudre ; mais après une lutte laborieuse semée d’ennuis et de dégoûts de toute sorte, si la nouvelle chambre élective persiste, vous serez contraint de lui céder.

« On vous dira encore que vous avez le droit de paix et de guerre, et ce ne sera pas vrai davantage. Vous ne ferez la paix, vous ne ferez la guerre que si l’opinion publique ou tout au moins la chambre qui la représente le veut.

« Et ne croyez pas qu’au moins libre dans votre vie privée, dans votre famille, dans votre cour, vous pourrez vous y dédommager en paix des soucis et des contraintes de votre vie publique ; d’abord vous ne pourrez composer à votre gré tout votre entourage : on exigera de certains choix, de certaines exclusions, et du dehors viendra jusqu’à vous la clameur d’une presse bruyante, épiant, signalant avec scandale vos habitudes, vos paroles, vos actions, vos plaisirs, vos amitiés, et la plume satirique du premier venu vous dénoncera à votre peuple et au monde avec une insolence presque toujours impunie.

« Voilà le gouvernement monarchique, la royauté inviolable que nous venons vous offrir, et, dans le seul pays où elle ait été établie, l’institution a eu pour double sanction le châtiment de deux rois, l’un mort sur l’échafaud, l’autre en exil. »

On ne peut douter de l’accueil qui attendait une telle proposition, si elle eût été faite avant le 14 juillet. Lorsque aucun trouble menaçant n’avait encore éclaté, elle aurait paru l’insulte du délire. Si elle était venue à la suite des agitations révolutionnaires comme un moyen de conjurer de tumultueuses violences, elle aurait été regardée comme une humiliante concession, comme une reconnaissance de la révolution triomphante, et n’aurait pas obtenu au début des troubles même le semblant d’acceptation accordé, après trois années de disgrâce et d’anxiété, à la constitution de 1791. Plus de vingt ans écoulés, après tant d’épreuves et de leçons propres à éclairer l’orgueil et à calmer le ressentiment, le roi Charles X, ce