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de siècle, comme encore aujourd’hui, demandait aux rois et aux peuples ces vertus généreuses que Dieu ne leur donne guère.

Et à la difficulté d’en être digne s’ajoutait celle d’en bien comprendre les conditions. C’était peu de vouloir être libre, il fallait savoir ce que c’est. Longtemps le premier mouvement des peuples les a portés à chercher leur liberté dans le passé, espérant l’y retrouver comme un bien perdu et la refaire avec des souvenirs. Vaine espérance ! si la liberté politique a été découverte dans les bois de la Germanie, nos aïeux l’y ont laissée. La liberté, en France du moins, n’est point historique. Quelques efforts impuissans, clair-semés dans sept ou huit siècles, pour obtenir quelques garanties toujours refusées, éludées ou abolies, ne suffisaient pas pour constituer à une nation ces droits héréditaires qui lui permettent de rattacher ses progrès à ses traditions, et d’employer le respect du passé aux réformes de l’avenir. Force était donc de chercher les formes mêmes de la liberté dans les exemples de l’étranger ou dans les théories des publicistes ; il fallait qu’elle vînt du dehors ou de la philosophie. Tout le monde sait que le XVIIIe siècle français se crut philosophe par excellence. Il était donc naturel qu’il puisât ses institutions dans les idées plutôt que dans les faits. Le Contrat social de Rousseau et le Phocion de Mably étaient plus familiers aux esprits de nos pères que la constitution britannique. On avait oublié, au point de paraître l’avoir ignoré toujours, qu’il suffisait de passer un bras de mer pour apercevoir un peuple dont l’histoire a prouvé maintes fois qu’il tient la royauté héréditaire pour un moyen de gouvernement dont il dispose ; un peuple qui, pour reconquérir ou venger ses droits, avait plus d’une fois pris les armes ; un peuple qui du père et du fils, tous deux rois, avait immolé l’un et détrôné l’autre pour faire foi de son indépendance ; un peuple qui, ayant demandé la liberté tour à tour à la république et à la monarchie réformée, en avait donné successivement la cause à défendre, d’abord au plus grand de ses poètes, puis au plus grand de ses philosophes[1] ; un peuple enfin qui, sous le règne d’une femme, avait humilié la plus grande monarchie du continent, et, guidé par un orateur éloquent, rivalisé de puissance et de conquête avec le plus grand général du dernier siècle.

Des événemens récens avaient contribué à effacer dans le public des impressions plus vives peut-être dans la première moitié du siècle. L’Angleterre venait d’avoir ce malheur que, les préjugés nationaux se rencontrant d’accord avec ceux de son roi, elle prît dans le conflit avec l’Amérique le rôle de l’oppresseur. Ses adversaires

  1. Hilton et Locke.