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opinions décidées, peut-être aussi un goût littéraire assez répandu de son temps, l’ont empêché de donner sur sa personne et son existence ces détails familiers et ces traits de réalité qu’on recherche de préférence dans les mémoires, et, malgré quelques documens précieux pour l’histoire administrative et coloniale, on se hâte de gagner le moment où, devenu un des personnages du grand drame, il serrera la vérité de plus près et animera par des détails plus vivans un plus pathétique récit. Ce n’est pas qu’on doive s’attendre à trouver de grandes nouveautés : une partie des faits les plus importans avait déjà été portée à la connaissance du public soit par les soins de Malouet lui-même, soit par d’autres écrivains ; mais ils sont ici rapprochés avec plus d’ordre, spécifiés avec plus de précision, et, sans compter les utiles notes de l’habile éditeur, qui a porté dans un travail à l’honneur de son aïeul un soin religieux et une exactitude exemplaire, la narration est éclaircie et complétée par des réflexions où ne manque pas la sagacité politique, où brillent une sincérité et une impartialité bien rares chez un homme qui a vécu au cœur des orages d’une révolution.

Ce qu’il raconte presque exclusivement, c’est l’histoire de son parti. On sait quel était ce parti, si ce nom peut être donné à un petit nombre d’hommes qui ont plutôt pensé qu’agi de même, et qui, plus souvent séparés que réunis, ont avec plus de constance que de succès cherché à servir de lien entre les amis du roi et les amis de la révolution, sans jamais réussir à vaincre ni les dédains des uns, ni la froideur des autres, souvent plus appréciés de ceux qu’ils voulaient désarmer que de ceux qu’ils voulaient servir. J’ai vécu dans ma jeunesse avec des hommes de son temps que Malouet pouvait regarder comme des adversaires, et je n’en ai pas vu qui ne rendissent hommage à son esprit, à son caractère, à son courage.

L’opinion qu’il soutenait et celle que soutenaient ses amis, celle de Mounier, de Lally, de Bergasse, de Clermont-Tonnerre, celle de Kecker et de Montmorin, quoique diverse dans ses nuances et difficile à réduire en système, ne l’est pas à caractériser. Ils étaient royalistes, mais royalistes constitutionnels, et le temps n’est pas assez éloigné où ce titre trouvait faveur dans le public, où la charte de 1814 paraissait capable de satisfaire et de terminer la révolution, à laquelle du moins elle pouvait offrir un long répit et une halte honorable, pour que cette opinion, même timidement conçue, ne recommande pas ceux qui l’ont professée à l’estime des hommes éclairés. La plupart de ceux dont je parle désespérèrent de bonne heure de la révolution ; mais généralement ils désavouèrent ses actes plutôt que ses principes. Forcés d’opter entre le roi et la constitution, ils auraient, je n’en doute guère, opté pour le roi ; mais ils