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paresse. Sans doute l’expérience doit nous prémunir contre une confiance aveugle dans les conditions de notre destinée et dans les forces de notre raison. Il ne faut pas trop espérer des choses humaines, ne fût-ce que pour échapper au désespoir : il n’y faut pas trop croire de peur de tomber, au premier mécompte, dans l’incrédulité ; mais la sagesse, qui sous prétexte de modestie ou d’humilité, prend à la lettre le vanité des vanités n’est propre qu’à énerver les courages. La foi et l’espérance sont des vertus même pour ce monde, et l’on ne gagne point en amour du bien à douter que le bien soit possible. On aurait peine à nombrer ce qu’il s’est commis d’iniquités, ce qu’il s’est toléré, maintenu, consacré, d’abus et de désordres, grâce à cette patiente conviction, qui finit par nous persuader qu’il est bon que nos meilleures pensées soient confondues par l’événement, et que l’homme a besoin de ces leçons pour ne pas trop lutter contre les succès de la force et les difficultés du bon droit. Ne voit-on pas que si l’on réussit à calmer par de tels conseils les impatiences des âmes justes et modérées, si l’on rend peu à peu les amis de l’ordre dociles à tout, si l’on paralyse les honnêtes gens par le scrupule, on ne gagne rien sur les ardens et les audacieux. On ne décourage pas l’ambition qui ne lie pas sa fortune, à celle de la raison et de la vertu, et qui, satisfaite des chances que l’incertitude des choses humaines offre à sa témérité, ne craint pas de se jeter à tout risque dans la carrière, et, comme Alexandre, marche à la conquête du monde en emportant l’espérance. Ainsi l’on s’expose à ne laisser ouverte qu’aux passions la lice où se livrent les luttes que raconte l’histoire. Il faut avoir les rudes instincts ou les appétits violens de l’aventurier pour se mêler des intérêts de l’humanité, et qui sait si l’ascendant qu’on attribue si souvent à la perversité dans la conduite des affaires ne vient pas en partie de cette prédication corruptrice qui conduit peu à peu les caractères à la faiblesse, les consciences à l’égoïsme, en imposant le scepticisme à la raison ?

Je me souviens qu’après les événemens qui ont terminé l’année 1851, quelques personnes pieuses, qui applaudissaient à ce qui s’était passé, se félicitaient d’y voir un démenti donné aux présomptueuses chimères de la raison humaine. Assurément la soumission d’esprit qu’une telle pensée doit produire n’a pas été étrangère à rabaissement moral dont on se plaint d’être témoin depuis cette époque. Cette disposition à se méfier de tout ce qui enhardit l’honnête homme à l’action s’est reportée du présent sur le passé. Notre histoire depuis la fin du siècle dernier ne prêtait déjà que trop aux doutes d’une misanthropie tour à tour épigrammatique ou plaintive. La grande entreprise qui plus qu’aucune autre a