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connue des Grecs, au moins d’une manière claire et précise ? Cette distinction si heureuse appartient à nos grammairiens, et elle s’est formée peu à peu sans qu’eux-mêmes, à la vérité, eussent pleinement conscience de la nouveauté qu’ils introduisaient. Une autre idée qui appartient en propre à la grammaire du moyen âge, c’est que le verbe, dans la proposition, signifie l’affirmation. Cette idée était implicitement exprimée en logique, mais elle n’avait pas été transportée dans la grammaire par les anciens. Enfin je ne suis pas assez grammairien pour discuter ni même pour parfaitement comprendre la théorie compliquée que M. Thurot explique en détail sur les modi significandi ; mais il me semble qu’elle témoigne d’un effort d’analyse idéologique assez remarquable, et que tout n’y est pas à dédaigner.

Au XIVe siècle, la grammaire scolastique devient encore plus barbare, plus hérissée, plus obscure, qu’au siècle précédent. « La méthode scolastique, dit avec raison M. Thurot, n’a jamais dominé plus complètement en grammaire qu’au moment où elle allait en être bannie. » Je puis sur ce point venir moi-même à l’appui de ce que dit M. Thurot ; du moins ai-je eu occasion de constater, dans des études antérieures sur une autre partie de la science au moyen âge, le même phénomène que constate M. Charles Thurot. C’est dans la politique. La politique comme la grammaire, comme toutes les sciences, est au moyen âge sous le joug de la scolastique ; mais sous ce rapport le XIVe siècle, quoique bien plus indépendant quant à la pensée, est bien plus asservi encore que le XIIIe à la méthode scolastique. Ockam, le plus hardi des penseurs du temps, en est en même temps le plus barbare et le plus sophistique. Saint Thomas d’Aquin est un attique à côté de lui. Je suis heureux de voir cette même pensée, que j’avais signalée ailleurs, vérifiée si à propos sur un tout autre terrain par le témoignage de M. Thurot.

Le moment arrive où les scolastiques allaient succomber partout. Partout les humanistes s’élèvent contre les scolastiques, et M. Thurot termine son livre par un résumé sommaire de cette lutte ; mais hélas ! dans l’enseignement classique les novateurs d’aujourd’hui seront les scolastiques de demain. Qui dirait, par exemple, que le pauvre Despautère, dont Molière se moque si plaisamment dans la Comtesse d’Escarbagnas, a été, lui aussi dans son temps, un novateur ? Il a osé (que n’ose-t-on pas en ce monde ?) substituer ses propres vers à ceux d’Alexandre de Villedieu, et prétendu remplacer le traditionnel Doctrinale ; il a osé plus encore : il a donné en accentuation des règles contraires à l’usage de l’église ; aussi lui disait-on avec indignation : « Les doyens, les chanoines, les évêques, chantent et lisent l’office suivant les règles prescrites par Alexandre, et tu as l’audace de te donner pour plus savant qu’eux ! »

La méthode scolastique appliquée à la grammaire est au XVe et au XVIe siècle l’objet d’une universelle réprobation. On reprochait aux gram-