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pas une seule citation. Il y avait, à la vérité, des grammaires élémentaires pour les petits enfans (Donatus minor) ; mais dès douze, treize, quatorze ou quinze ans, on dictait aux écoliers une métaphysique inintelligible, que l’on faisait entrer dans leurs esprits par des moyens aussi barbares que les théories dont on les accablait. Flagro dorsa ferit rubro, disait-on de la grammaire dans les poèmes du temps.

Cependant il ne faudrait pas croire que tout fût barbarie, subtilité verbale, commentaire oiseux, ergoterie sans portée. On sait que Leibniz trouvait de l’or dans ce fumier de la scolastique, et cette ingénieuse expression peut encore être justifiée ici. Peut-être même peut-on trouver que M. Thurot s’est tenu un peu trop en garde contre la tentation naturelle d’un auteur de faire valoir son sujet. Il est plus sévère contre les grammairiens qu’on n’est tenté de l’être en le lisant, et l’on peut supposer qu’il n’est pas sans rancune contre l’ennui qu’ils lui ont causé. Sans doute les grammairiens spéciaux sont ici meilleurs juges que les philosophes ; cependant il me semble trouver dans les théories grammaticales exposées par M. Thurot plusieurs idées qui ne sont pas indignes d’admiration. Par exemple, au risque de passer moi-même pour un peu idéologue, je ne peux pas être sans quelque sympathie pour ces pauvres barbares qui avaient alors l’idée d’une grammaire générale, la même pour toutes les langues, sauf quelques différences accidentelles. Je sais que cette idée n’est plus à la mode en philologie ; je sais que la grammaire générale, science abstraite et a priori, a été détrônée par la grammaire comparée, science expérimentale et historique ; je sais enfin que l’on nie l’existence d’une grammaire universelle. Néanmoins on reconnaîtra que l’idée d’une grammaire générale a régné jusqu’au XVIIIe siècle, jusqu’au commencement du nôtre, et M. Thurot peut trouver dans sa famille même un livre classique de grammaire générale, l’Hermès de Harris, traduit par son oncle. Après tout, cette idée que les hommes, ayant un même esprit, un même entendement et une même logique, doivent avoir des lois communes de langage est une idée plausible et spécieuse, très tentante pour les esprits philosophiques ; vraie ou fausse, elle est une pensée remarquable, et c’est un honneur pour les grammairiens du moyen âge de l’avoir elle les premiers. Ils montraient en même temps une certaine finesse à écarter les objections que cette idée soulevait naturellement, par exemple l’absence en latin et la présence en grec de l’article ; on distinguait dans les parties du discours les essentielles et les accessoires. On voit qu’en grammaire comme en théologie il y a aussi des dogmes fondamentaux.

Sur d’autres points plus positifs, les grammairiens du moyen âge ont introduit dans la science des distinctions et des vues importantes qui y sont restées. Par exemple, qui croirait que cette distinction qui nous est si familière et si commode des substantifs et des adjectifs n’était pas