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appliquait à la grammaire la dispute qui était la grande et presque exclusive forme de la méthode scientifique.

Cependant ces caractères généraux ne se rencontrent pas précisément au même degré à toutes les époques du moyen âge, et M. Ch. Thurot distingue deux périodes tout à fait différentes, ce qui est encore conforme aux idées généralement reçues, la première du IXe au XIIe siècle exclusivement, la seconde depuis le XIIe jusqu’au XIVe. Ces deux périodes sont séparées par l’apparition d’Abélard, qui paraît décidément avoir eu la plus grande influence sur toutes les parties de la science de son temps, et qui en introduisant la dialectique, c’est-à dire la méthode de dispute, a dans une certaine mesure émancipé les esprits, mais en les assujettissant à de nouvelles chaînes, celles des mots et des abstractions. Les caractères prédominans de la première période, suivant M. Ch. Thurot, sont le respect superstitieux aux textes qui font autorité, l’ignorance du grec et de l’antiquité classique, la disposition à raisonner sur les faits au lieu de les étudier. Voici maintenant les caractères généraux de la seconde période : comme dans la période précédente on enseignait la science non pas directement et en elle-même, mais en commentant un texte qui faisait autorité. La méthode d’interprétation était singulièrement vicieuse : en expliquant leur texte, les glossateurs cherchaient non à entendre la pensée de l’auteur, mais à enseigner la science elle-même que l’on suppose y être contenue. Un auteur authentique, comme on disait alors, ne peut ni se tromper, ni se contredire, ni suivre un plan défectueux, ni être en désaccord avec un autre auteur authentique. On avait recours aux artifices de l’exégèse la plus forcée pour accommoder la lettre du texte à ce que l’on considérait comme la vérité. Dans la première période, on savait encore tracer les caractères de l’alphabet grec ; dans la seconde, on n’écrit plus le grec, on le dessine grossièrement, on le lit tout de travers et on l’explique de même. L’ignorance historique et littéraire est égale à l’ignorance du grec. Pierre Hélie, parlant du consulat, confond la république, l’empire et la papauté. On expliquait les poètes anciens ; mais un précurseur d’un célèbre abbé de nos jours, le grammairien Alexandre de Villedieu, s’emportait en invectives contre les poètes anciens, et à la place de ces poèmes corrupteurs il proposait comme étude à la jeunesse de bons poèmes didactiques, telles que son Doctrinale, poème sur la grammaire, devenu classique et étudié dans les écoles jusqu’au XVe siècle, et son Ecclésiale, où il avait mis en vers le rituel et le droit canon. Déjà commence l’autorité d’Aristote, qui avait été ignoré dans la première période. En même temps la dispute devient la méthode universelle ; tout est remis en question, et on discute la négative des propositions les plus évidentes. Chaque argument est mis en forme ; on prend toujours son point de départ dans les abstractions, jamais dans l’étude de l’usage. Il y a beaucoup de traités de grammaire où l’on ne rencontre