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n’est-ce pas une sorte de pédantisme que de faire avec tant de soin l’histoire de la pédanterie ?

Quiconque parlerait ainsi se paierait de raisons frivoles et superficielles. Il n’y a pas de petit problème dans la science, et l’histoire de l’esprit humain en particulier ne peut être étudiée avec trop de détail et de précision. Un champ restreint et bien délimité, s’il n’a pas ces vastes perspectives qui charment l’imagination, a cet avantage de pouvoir être complètement et fructueusement défriché ; on peut étudier d’une manière précise et rigoureuse ce qui échappe sur une plus grande échelle. Dans les sciences d’observation, on n’expérimente en grand qu’après avoir étudié d’abord des cas bien déterminés. Or M. Ch. Thurot nous montre très bien que son sujet, outre l’intérêt spécial qu’il peut avoir pour les ; personnes compétentes, a encore un intérêt général, celui de nous donner une idée juste et exacte de la culture scientifique au moyen âge. Sous ce rapport, la grammaire est une science très bien choisie. Les sciences physiques et naturelles étaient alors trop peu et trop mal cultivées pour pouvoir servir de mesure dans l’appréciation de l’esprit scientifique de ce temps. Les sciences morales, métaphysiques, théologiques, offrent un ensemble beaucoup trop vaste et indéterminé pour permettre des résultats positifs et précis, et il faudra encore bien du temps et de la patience pour débrouiller avec justice le bilan philosophique du moyen âge. Il n’en est pas de même de la grammaire. D’une part, cette science étant d’un usage pratique, le moyen âge ne pouvait pas y être absolument incompétent ; de l’autre, cette science a un champ très déterminé, très positif ; il est facile d’y démêler les défauts et les mérites, les décadences et les progrès. On a donc là un excellent point de vue pour faire sur la science au moyen âge une enquête impartiale et instructive.

Les résultats de cette enquête, poursuivie par M. Thurot avec un soin infini, ne modifient pas sensiblement, et justifient au contraire l’opinion que l’on se fait en général sur la science au moyen âge ; mais ils la justifient par des preuves précises, renouvelées, détaillées, puisées dans les sources. Le moyen âge a eu dans la culture de la science deux grandes illusions, deux grandes maladies, qui ont stérilisé presque toutes ses recherches et souvent de grandes facultés et de grands talens, l’abus du principe d’autorité et l’abus de la dialectique. On sait cela en général, on ne le sait pas encore assez en particulier. M. Charles Thurot le prouve par de nombreux exemples. En grammaire, l’autorité, c’était Prescien et Donat, comme en philosophie Aristote. La méthode était, comme en logique et en métaphysique, la scolastique. Au lieu de recueillir les faits, c’est-à-dire en grammaire de consulter les bons auteurs et de rassembler des exemples ramenés à des règles générales, on portait d’abstractions, on définissait, on posait des problèmes, on discutait l’affirmative et la négative, on donnait des raisons pour, des raisons contre ; en un mot, on