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encore, avec un prince enfant, une régence nécessaire ; une régence, ce serait toujours le provisoire, et au fond c’est peut-être ce qu’on veut.

Pendant ce temps, l’Espagne en est plus que jamais à se demander si elle ne va pas décidément perdre l’île de Cuba. Ce qui aggrave tout aujourd’hui, c’est que cette triste affaire se complique d’une intervention diplomatique des États-Unis. L’envoyé américain à Madrid paraît avoir présenté une note au gouvernement espagnol. Nous ne croyons pas que les États-Unis soient au fond très pressés de s’emparer de Cuba. Ils sont trop confians dans leur fortune pour n’être pas persuadés qu’un jour ou l’autre cette belle possession viendra se ranger sous le drapeau étoile. Le cabinet de Washington a d’ailleurs loyalement gardé jusqu’ici une attitude de parfaite neutralité. Il est cependant difficile à un gouvernement populaire d’échapper indéfiniment à la pression de l’opinion, et l’opinion commence à se prononcer aux États-Unis. C’est là sans doute le secret de la démarche faite à Madrid. Quel peut être l’objet précis de cette démarche ? Les États-Unis ne peuvent proposer à l’Espagne qu’un achat de l’île de Cuba ou un ensemble de mesures qu’ils se chargeraient de faire accepter par les insurgés cubains, et qui amèneraient une pacification. Il est possible que, si la froide raison était seule en jeu, on réfléchirait à Madrid ; mais l’orgueil espagnol ne se prêtera pas aisément à une vente de Cuba ou à l’intervention d’un gouvernement étranger. Que faire cependant ? Le général Prim, dans sa récente visite à Saint-Cloud, n’a probablement pas trouvé le secret de se tirer de cet embarras, qui met l’Espagne dans la cruelle alternative de se résigner à une humiliante défaite, ou de prodiguer en hommes et en argent des dépenses ruineuses pour sa puissance et son crédit.

L’Amérique du Sud va-t-elle voir enfin le terme de cette guerre du Brésil, et du Paraguay, qui se prolonge depuis des années avec de si tragiques et si étonnantes alternatives ? On le dirait aujourd’hui. Cette guerre a été entreprise en commun par le Brésil, la république argentine et la république orientale, contre un seul pays, le Paraguay, — mieux encore, contre un seul homme, le dictateur Lopez. En réalité pourtant, c’est le Brésil qui a porté le principal fardeau de la lutte. Il a marché lentement, ayant à traverser des territoires immenses et à remonter des fleuves d’une navigation laborieuse, obligé d’ailleurs de se mesurer sans cesse avec un ennemi tenace, dont il ne prévoyait pas l’énergie et les ressources. Il était arrivé, il y a déjà quelques mois, à l’Assomption, où il s’était établi en organisant une sorte de gouvernement provisoire. C’est alors que le comte d’Eu, gendre de l’empereur dom Pedro, était envoyé pour prendre le commandement de l’armée brésilienne et pour en finir avec cette résistance d’un homme acharné à défendre le territoire de-son-pays pied à pied. Lopez, après avoir quitté l’Assomption, s’était créé plus loin une autre citadelle. C’est là que le