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pas. Son livre est une forte et savante démonstration préparée depuis longtemps, faite pour ce concile, qu’il convie à une grande œuvre d’apaisement, et c’est là encore un des signes de cette crise que traverse aujourd’hui le catholicisme ; mais le symptôme assurément le plus curieux est cet acte d’affranchissement et d’indépendance que vient d’accomplir ce carme éloquent qui a rempli dans ces derniers temps la chaire de Notre-Dame de Paris, le père Hyacinthe. Comment cette rupture est-elle arrivée à un tel degré d’éclat ? C’est probablement le secret de cette politique inflexible qui tend à envahir l’église, qui ne souffre aucune indépendance, aucune connivence avec le siècle. La vérité est que plus d’une fois on a voulu arrêter les élans de cette parole ardente, que le père Hyacinthe a été mandé à Rome il y a deux ans, que récemment encore on n’a pu lui pardonner d’avoir laissé entendre dans un discours qu’il y avait en ce monde d’autres religions que le catholicisme. Le coup ne s’est pas fait attendre, et le père Hyacinthe a répondu non-seulement en refusant de livrer la liberté de sa parole, comme on le lui demandait, mais en dépouillant son habit de moine, en protestant devant le concile contre des doctrines « qui se nomment romaines et qui ne sont pas chrétiennes, » contre le divorce qu’on prétend établir entre l’église et la société moderne. M. l’évêque d’Orléans, par une démarche publique dont nous ne saisissons pas bien l’opportunité, a voulu ramener ce généreux insoumis en lui conseillant le repentir de sa faute. Le père Hyacinthe s’est borné à répondre avec une dignité simple que ce qu’on appelait une « grande faute commise » n’était qu’un « grand devoir accompli. » Le vrai crime de ce carme, surveillé depuis longtemps, c’est que, malgré tout, il est resté toujours le fils de la société moderne ; il n’a pu se séparer d’elle, il a voulu la ramener à sa foi sans lui ravir ses droits. C’est un pauvre esprit, répètent aujourd’hui les grands docteurs ultramontains. Les pauvres esprits, ce sont ceux qui s’efforcent de rétrécir à tout prix le catholicisme, qui font ce qu’ils peuvent pour rejeter successivement tout ce qui a une âme flore et une parole libre. La belle victoire qu’ils ont remportée là de contraindre ce moine intelligent à fuir de sa chaire et de son petit couvent de Passy en secouant ses sandales ! M. l’abbé Maret cherche la paix religieuse, nous lui souhaitons bonne chance. En attendant, voilà la guerre qui s’allume, les camps qui se dessinent ; voilà l’éclat des ruptures imprévues et des dissidences réfléchies. Le concile s’annonce bien. Il ne fait après tout que mettre à nu, sous la forme des déchiremens religieux, la crise profonde et permanente des sociétés contemporaines.

Cette crise religieuse, morale, humaine, qui est la fatalité des siècles en travail, elle apparaît d’ailleurs sous bien des formes, à toutes les extrémités du monde de notre temps. Elle est dans le prologue agité du concile, elle était hier dans ce congrès de Lausanne, qui vient de tenir