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prendre leur aplomb et leur direction, pour se préparer à leur laborieuse tâche. Le monde a besoin de se sentir vivre, et jusque dans ses haltes d’un instant il trouve encore à s’occuper. Quand les événemens lui manquent, il s’attache à des rumeurs, ces ombres fugitives et insaisissables des événemens. Dans le silence momentané de la vie publique, il se jette sur tout ce qui est à sa portée, changeant tous les jours d’objet, interrogeant la signification des voyages diplomatiques ou le secret des conseils ministériels. Il s’agite ainsi quelquefois dans le vide, et ce n’est point assurément ce qu’il y a de moins dangereux en politique ; mieux vaudrait un ensemble de faits précis, éclairant et déterminant une situation, offrant un cadre fixe et régulier à cette activité inoccupée.

Nous sommes aujourd’hui, en France, dans un de ces momens qu’on pourrait appeler une révolution constitutionnelle interrompue par les vacances d’automne, et où tout se ressent nécessairement de cette interruption, parce que tout ce qui a été fait n’est que le commencement de ce qui reste à faire. Un sénatus-consulte a été voté, un régime nouveau a été institué sur la proposition du gouvernement ; la liberté parlementaire, après une suspension de dix-sept ans, a reconquis ses prérogatives les plus essentielles ; tout est changé désormais. Que peut-on cependant augurer de cette transformation, qui de l’empire de 1852 ne laisse vraiment subsister que l’empereur ? Elle n’existe que sur le papier, elle n’est qu’un hommage platonique rendu à un grand mouvement d’opinion, tant qu’elle n’est point passée dans la pratique, tant que le corps législatif n’est pas rentré effectivement en possession des droits qui lui ont été restitués. En d’autres termes, on n’a vu jusqu’ici paraître sur la scène que deux personnages du drame constitutionnel qui se déroule, le gouvernement et le sénat ; il y a un troisième personnage nécessairement appelé à dire son mot : c’est l’assemblée même qui a eu moralement l’initiative des réformes nouvelles. De là cette sorte d’agitation qui s’est manifestée récemment pour hâter la convocation du corps législatif, si brusquement prorogé au mois de juillet et si complaisamment laissé à son repos pendant ce premier mois d’automne. Tâchons de rester dans le vrai. Dans cette affaire de la convocation du corps législatif qui se débat avec vivacité depuis quelques jours, et qui sera probablement résolue dans un des prochains conseils, lorsque tous les ministres se retrouveront à Paris, il y a deux choses essentielles, une question de légalité et une question d’opportunité, ou, mieux encore, une question de procédure constitutionnelle et une question supérieure de politique. Légalement, il est fort possible que le gouvernement soit dans son droit en ajournant la réunion des chambres. La constitution lui fait à la vérité un devoir de convoquer le corps législatif dans les six mois qui suivent la dissolution, et à la rigueur ce délai expirerait le 26 octobre ; mais d’un autre côté il y a eu dans l’intervalle la session du mois de juillet, qui, malgré sa