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l’explosion, prennent la position horizontale et sont destinées à retenir la baleine. Ce projectile ainsi établi a été expérimenté devant le jury de l’exposition universelle de 1867, et a donné des résultats merveilleux ; il est vrai que l’expérience se faisait sur les eaux dormantes de la Seine, et que la baleine était représentée par un mannequin d’osier. Transportons-nous un moment dans les parages où se fait la pêche, dans ces mers toujours agitées du cercle polaire, et faisons une expérience sur une baleine de fond. Le projectile a fait une plaie béante ; les chairs, mâchées, déchirées, n’offrent aucune résistance aux oreilles du harpon, et le cadavre coule. Du reste, en admettant que ce faible harpon mordît réellement dans les chairs solides, la ligne ne serait jamais assez forte, ni le harpon non plus, pour retenir une baleine de fond à la surface. Ce que nous disons là n’est pas seulement le résultat d’un simple raisonnement. Pendant la croisière dont il a été déjà question entre l’île Jean-Mayen et le Spitzberg, nous expérimentâmes un engin américain qui reposait sur les mêmes principes. En vingt-deux jours, nous avons tué dix-neuf baleines, — ce qui prouve qu’il y en a encore ; — sur ce nombre, il n’y en eut que deux d’amarrées le long du bord : encore fallut-il recourir à l’ancien harpon pour arriver à ce résultat. En somme, ce système américain est une arme de destruction terrible, foudroyante ; c’est un engin de pêche détestable. Nous ne voulons pas détruire, on n’a malheureusement que trop détruit ; nous voulons pêcher. Le Dr Thiercelin, qui a passé sa vie sur des baleiniers, a été amené à cette pensée, qu’il fallait trouver un poison végétal pouvant se conserver ou d’une préparation facile, et qui, au lieu de tuer instantanément la baleine, la mît dans un état de paralysie, d’inertie, tout en la laissant vivre. Là est la solution du problème. La première expérience qu’il fit sur la fin de ses campagnes donna des résultats satisfaisans ; malheureusement il n’avait pour répandre son poison dans la plaie que la bombe-lance, dont on a pu apprécier les imperfections, et de plus il avait contre lui quelque chose de bien plus terrible que la furie intraitable des mers et les formidables réactions de la baleine : c’est la mauvaise volonté du matelot pêcheur, l’entêtement routinier de ce qu’on appelle un vieux loup de mer. Un autre défaut qui rend la bombe-lance impossible dans ce dernier cas, c’est qu’elle ne porte pas d’amarre. Il est indispensable de pouvoir suivre la direction que prend l’animal. Le poison peut mettre de douze à quinze minutes à produire son effet, et pendant ce temps la baleine échappe aux baleiniers.

Il existe un engin qui paraît réunir toutes les conditions réclamées pour ce genre de pêche. C’est un projectile porte-amarre ; il pénètre dans la baleine, il éclate, non dans tous les sens comme