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étaient les motifs de la décadence de la pêche. Il y a du vrai dans ces deux affirmations ; il ne faut cependant pas les regarder comme le dernier mot de la question. Les armateurs touchent de l’état des primes assez fortes ; mais cet avantage n’en est pas un, puisqu’ils ne l’obtiennent qu’au détriment de leur liberté. Or la liberté, que Locke appelle « une puissance, » est indispensable à la vie industrielle et commerciale. En l’aliénant, ils font un sacrifice funeste. Pour toucher les primes, ils sont obligés de recruter leurs équipages en France, sauf une fraction. Cette sujétion a été fatale à l’industrie baleinière. Les Français sont braves, et se jettent dans le danger avec élan. S’ils raisonnaient comme les Allemands, s’ils avaient l’esprit spéculatif des Anglais, ils n’auraient jamais réalisé de ces audaces glorieuses qui ont souvent fait l’étonnement de tous les peuples ; mais, pour harponner une baleine, ce n’est pas précisément de la bravoure qu’il faut, c’est du calme, du sang-froid, et nous en sommes assez dépourvus. Voilà pourquoi nos matelots ne font en général que des harponneurs médiocres ; les Anglais, les Américains, en fournissent au contraire d’excellens. Tout en maintenant les primes, on aurait dû laisser aux armateurs la liberté d’emprunter leurs harponneurs à l’étranger. Quel a été en effet le but que s’est proposé le législateur en instituant les primes et les obligations qu’elles imposent ? Il a voulu évidemment favoriser l’inscription maritime et former dans la pêche de la baleine des matelots aguerris pour la marine de l’état. Ce but n’a pas été atteint, puisque cette loi, excessive dans ses obligations, semble avoir porté un coup mortel à l’industrie baleinière.

Quant à la disparition des baleines, voici ce qu’il y a de réel. La baleine franche est devenue en effet très rare. D’abord elle est la plus facile à pêcher, et c’est après elle que se sont de tout temps acharnés les baleiniers de tous les pays ; mais la cause principale de cet appauvrissement, c’est la pêche dans les baies et la pêche au baleineau, puisqu’on s’attaquait ainsi principalement aux femelles et qu’on détruisait deux baleines pour en avoir une. Il eût été certainement d’une grande prudence, il y a plusieurs années, de défendre par une loi reconnue de toutes les nations cette pêche barbare, qui devait amener fatalement la ruine des baleines franches ; mais eût-il été possible d’assurer l’exécution d’une pareille loi ? Pour y réussir, il aurait fallu obliger chaque capitaine d’avoir à bord un surveillant fourni par l’état, ce qui eût été une nouvelle charge imposée à l’armement. Dans tous les cas, il n’est plus temps de prendre une telle mesure, le mal est fait, il n’y a plus assez de baleines franches pour assurer des garanties de succès aux armateurs ; du reste, la baleine franche n’est pas la seule qui puisse faire l’objet d’une pêche