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la ligne prend la jambe d’un matelot, elle la brise comme un brin d’herbe. Dans le cas où la sonde de la baleine se prolongerait au-delà de la portée de la ligne, l’extrémité de celle-ci est fixée sur une bouée ou plutôt sur un seau, ce qui est bien préférable ; le seau oppose une grande résistance et ralentit considérablement la marche de l’animal. Enfin celui-ci est obligé de venir souiller ; il s’agit de l’approcher encore avec précaution ; le moindre coup de queue ou d’aileron peut tout briser.

Il faut une obéissance absolue et une grande rapidité d’exécution chez l’équipage, et de plus la pirogue doit être docile à la manœuvre. Il est donc indispensable que le constructeur lui donne la plus grande légèreté possible ; une bonne pirogue doit pouvoir courir sur la lame avec une extrême rapidité sans embarquer d’eau ; il faut que ses minces bordages, fixés à une forte membrure, lui laissent toute sa souplesse d’évolution. Il n’y a en effet aucune sérieuse raison de donner à une baleinière une solidité excessive. Serait-ce pour la mettre à même de résister à un coup de queue de baleine ou à l’étreinte formidable de la mâchoire du cachalot ? Dans ces deux cas, le but ne serait pas atteint, ses épais bordages fussent-ils en acier. La baleinière doit avoir juste la force nécessaire pour tenir la mer avec son armement, et il est acquis d’ailleurs que la légèreté est une excellente qualité nautique de mauvais temps. La pirogue est quelquefois entraînée dans sa chasse ou emportée par les courans à de très grandes distances ; souvent aussi les brumes viennent lui dérober le navire, qui est resté en panne pour attendre le résultat de l’attaque ; dans ces prévisions, elle est pourvue d’un compas de relèvement et de plusieurs rations de vivres ; elle a aussi un mât et une voile. Les baleiniers ne manquent jamais d’utiliser ces moyens, quand après une course infructueuse ils ont à chercher leur vaisseau dans les brumes, ou lorsqu’après une chasse heureuse ils remorquent triomphalement leur riche capture.

Dès que le harpon s’est échappé des mains du harponneur, celui-ci est venu prendre la place de l’officier de pêche à l’aviron de queue, et l’officier de pêche a pris la sienne sur l’avant. Il tient la lance à la main, et attend que la baleine émerge de l’océan tout près de lui. Alors commence pour celle-ci le dernier combat. Criblée de coups de lances, de harpons, elle se débat encore ; mais dès qu’un coup a porté juste, elle souffle le sang, elle frissonne, elle est morte. Il y a souvent des épisodes terribles dans cette lutte entre une poignée d’hommes et un animal si prodigieusement fort. Un coup de queue suffit pour engloutir la pirogue, écraser la tête d’un matelot. Avec le cachalot, le péril est plus grand encore. Au mois de septembre 1865, je faisais sur un baleinier danois une croisière