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inspection est terminée, arrive la femelle. Elle vient dans ce milieu tranquille déposer le fruit de ses amours.

Dès que le baleineau est né, il frétille, il court tout autour de sa mère, qui le caresse avec sa nageoire pectorale et le presse tendrement. Tout en nageant autour d’elle, il rencontre les mamelles, placées à la partie postérieure du corps ; la mère se met alors sur le côté pour faire émerger ses mamelons ; après quelques tentatives, le petit s’y attache : il a trouvé la source qui doit lui donner sa première nourriture. Lorsqu’on harponne une baleine nourrice, et la plupart de celles qu’on prend au commencement de la saison des baies se trouvent dans cet état, leurs mamelles donnent en moyenne trois barils d’un lait épais, jaunâtre, ayant un goût d’olive mal conservée dont certains palais sont très friands. Le baleineau se développe très vite : au bout d’un mois et demi ou sept semaines, ses fanons se sont constitués, ses lèvres ne peuvent plus presser le mamelon maternel. C’est alors que la baleine, après avoir commencé son éducation dans la baie, le conduit au large.

L’amour maternel est très vif chez elle. Quand un baleinier rencontre une femelle avec son baleineau, c’est toujours le jeune qu’il attaque. Il est sûr que, s’il a le petit, il tient la mère par un lien plus solide qu’aucune ligne. Dans certains pays, il est même stipulé que, lorsqu’un équipage a pris un baleineau, s’il survient un autre pêcheur qui harponne la mère, cette capture appartient à celui qui a pris le baleineau. Il faut voir, en cas de poursuite, tous les soins que prend la baleine pour hâter la marche de son petit ! Elle a beau faire, les sondes du jeune sont moins longues ; il est obligé de venir souffler plus fréquemment, et la pirogue le gagne de vitesse. La mère se place alors derrière lui pour lui faire un rempart de son corps, le pousse en avant ; enfin elle le prend sous son aileron et déploie toute la vitesse dont elle est douée pour le soustraire au danger qui le menace. Il arrive quelquefois qu’elle parvient ainsi à le sauver ; mais souvent aussi c’est à ce moment que le terrible harpon vient atteindre son petit. Alors commence un spectacle navrant. Elle essaie d’abord de le dégager ; mais le harpon tient bon, et la ligne est solide. Tous ses efforts ne font qu’augmenter le mal ; elle se livre au plus violent désespoir, et sa douleur est d’autant plus déchirante qu’elle est muette. Le baleinier l’a maintenant à sa discrétion. il n’a pas besoin du harpon, la lance suffit ; c’est à bout portant qu’il l’achève, et elle s’offre d’elle-même à ses coups. Quand la baleine a pu sauver son petit, elle le garde à côté d’elle pour le protéger, et perfectionne son éducation jusqu’au moment de la saison du large. Alors elle le présente dans les gammes, elle lui fait faire ses débuts dans le monde. A partir de ce jour seulement, son