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ont rencontré un, elles pêchent tout à leur aise, et le baleinier qui les surprend a beaucoup de chances pour lui. La baleine dérangée dans son festin n’abandonne la boëte qu’à regret, et pour y revenir bientôt. Hors ce cas, une baleine manquée s’éloigne sans que l’on puisse la suivre, et revient rarement dans les parages où elle a été chassée. Quand elle est rassasiée, d’autres besoins non moins impérieux s’emparent de la baleine. La vie solitaire lui pèse, il lui faut les douceurs de la vie de famille. On la voit alors battre l’eau avec sa queue, elle élève son corps à peu près de moitié perpendiculairement au-dessus des vagues, puis elle se renverse sur le dos ou sur le côté, se battant les lianes avec les nageoires pectorales. Toute cette bruyante comédie ne doit être regardée que comme un appel auquel d’autres baleines mâles et femelles ne tardent pas à répondre, et au bout de quelques jours on les rencontre par bandes nombreuses nommées gammes. On a dit que les gammes étaient ordinairement de six ou huit baleines, jamais plus. J’ai vu dans une croisière entre le Spitzberg et le Groenland des gammes beaucoup plus nombreuses, et des capitaines baleiniers qui ont fait la pêche dans les plus beaux jours de cette industrie ont pu compter jusqu’à deux cents baleines dans la même gamme.

Pendant ces grandes assemblées, chacun fait valoir sa grâce et son agilité, car ces énormes animaux ont tout cela. Il n’y a qu’une chose qui leur manque, surtout aux mâles, c’est le courage. Dès qu’un pêcheur vient troubler la fête, on voit les baleines fuir dans toutes les directions, sans essayer de venger celle que le harpon a frappée. C’est un sauve-qui-peut général. Cependant, lorsque la gamme se compose de quarante ou cinquante têtes, ceux qui s’y risqueraient avec une simple pirogue commettraient une grande imprudence. Dans le remue-ménage produit par quarante cétacés empressés de fuir, une pirogue baleinière serait infailliblement engloutie avec tout son équipage. Le capitaine fera bien de croiser à portée de la gamme et de ne lancer les pirogues qu’au moment où des couples se séparent du groupe. Peu à peu en effet, la connaissance devient plus intime, chaque mâle a arrêté son choix, fait agréer ses hommages, et au bout de quelques jours les nouveaux fiancés quittent la bande pour aller goûter dans le silence de l’immensité les douceurs de la lune de miel. La parturition a lieu tous les ans vers le milieu de l’automne. On a voulu induire de là que la baleine ne portait que cinq ou six mois ; c’est inadmissible. Il faut admettre au contraire que le temps de la gestation est de dix-huit moisi Donc, vers le commencement de l’automne, on voit arriver le mâle, qui vient visiter les baies ; il cherche un endroit bien chaud, bien abrité, bien sûr, un bon fond de sable ; quand cette minutieuse