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étrangers étaient venus à Wanumbai ; ils s’étaient querellés avec les habitans, en avaient tué un certain nombre et emmené beaucoup d’autres comme prisonniers avec le chef de la tribu. Ces prisonniers, selon eux, vivaient encore dans quelque pays lointain, et M. Wallace, qui connaissait tout, devait les avoir vus et ne refuserait pas de dire où on pourrait les trouver. Il essaya d’expliquer à la députation que leurs amis n’avaient pu traverser l’Océan dans leurs pirogues, et que d’ailleurs ils devaient être morts depuis longtemps. Cela fit rire tous les assistans ; leurs amis, disaient-ils, n’étaient pas morts, on avait des preuves qu’ils étaient vivans ; des hommes de Wokan les avaient jadis rencontrés sur la mer, et avaient reçu du chef 100 aunes d’étoffes qu’ils devaient porter à Wanumbai pour rassurer son peuple et annoncer son retour ; mais les hommes de Wokan, voleurs et menteurs, avaient toujours nié qu’ils eussent reçu l’étoffe et vu les prisonniers. Ainsi on était bien sûr que ces derniers étaient encore en vie. D’ailleurs, plus récemment, on avait appris qu’un marchand bougi avait rapporté des enfans de ces prisonniers, et l’on était allé à Dobbo pour les voir. Celui qui parlait y avait été ; mais le marchand bougi avait refusé de laisser voir les enfans et menacé de tuer quiconque entrerait chez lui. Il avait les enfans dans une grande boîte qu’il remporta avec lui à son départ. Ces histoires se terminaient toujours par un appel à la bonne volonté de l’étranger, qui devait aider les hommes de Wanumbai à retrouver les leurs. Peut-être la légende remonte-t-elle à l’époque des premières découvertes des Portugais.

Nous avons essayé, dans cette étude sur les deux volumes de M. Wallace, de donner une idée de ce qu’il a vu pendant un séjour de huit ans dans l’extrême Orient. Nous avons laissé de côté bien des détails d’histoire naturelle, parmi lesquels nous nous bornerons à signaler une importante monographie des oiseaux de paradis. Nous avons passé à regret bien des pages charmantes qui nous auraient entraîné trop loin. Ce qui fait à notre avis l’attrait principal du livre, c’est son côté philosophique, c’est la finesse et la profondeur des jugemens. Toutefois la conclusion où l’auteur résume ses impressions a l’air d’une boutade qui vise à l’effet. « Nous sommes habitués à admettre, dit M. Wallace, que notre race, qui est supérieure à toutes les autres, a fait des progrès et en fait encore tous les jours. Il faut donc qu’il y ait un état de perfection absolue, un dernier but que nous n’atteindrons pas, mais dont nous devons sans cesse approcher. Quel est cet état idéal de la société ? Nos plus grands penseurs sont d’accord pour le chercher dans la liberté individuelle et dans le self-government, résultat du développement équilibré de nos facultés morales, intellectuelles et physiques. Dans