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Wallace n’avait été autant frappé du contraste des deux races qui ont peuplé cet archipel. Ces noirs gaillards aux faces grimaçantes, qui criaient et gesticulaient, qui ne pouvaient rester en place un seul moment et semblaient comme enivrés de plaisir, c’étaient les vrais Papous, les authentiques représentans de la race australienne ; en les comparant aux graves Malais, qui paraissaient ahuris et choqués de tant de familiarité, on ne pouvait s’empêcher d’y reconnaître deux races profondément distinctes, aussi différentes au physique qu’au moral.

Le capitaine de la praou voulait faire construire aux îles Kay deux canots, ce qui l’obligea à s’y arrêter plusieurs jours. De là, on se rendit à Dobbo, dans l’îlot de Wamma, marché principal des Chinois et des Bougis qui font le commerce avec les îles Arrou. Dans les six mois qu’il y passa, M. Wallace eut tout loisir de faire connaissance avec les habitans de ces îles lointaines et d’étudier leurs mœurs pendant qu’il s’occupait d’accroître ses collections. Les chapitres qu’il a consacrés aux îles Arrou ne sont pas les moins intéressans des deux volumes où il a raconté son voyage. Il y rapporte plusieurs conversations qu’il a eues avec les indigènes et qui sont des plus curieuses. Ce qui les intriguait le plus dans ses occupations, c’était l’usage auquel il destinait les animaux empaillés. Il leur avait dit qu’il les emportait pour les montrer à ses compatriotes. Cette réponse ne leur parut point satisfaisante. « Dans un pays où l’on sait fabriquer du calicot, des couteaux, du verre et toute sorte d’autres merveilles, on ne se soucie pas d’aller regarder des objets d’Arrou. » Quelque temps après, un vieux bonhomme l’entreprit de nouveau sur ce sujet. « Que deviennent ces oiseaux quand vous allez sur mer ? lui dit-il. — Eh ! nous les mettons dans des boîtes ; que croyez-vous donc que j’en fasse ? — Vous les ressuscitez. Oh ! ne niez pas, vous les ressuscitez ! » Rien ne put le faire démordre de cette idée. Après un moment, il ajouta : « Je sais bien ce qui en est. Avant votre arrivée, il pleuvait ici tous les jours ; maintenant il fait toujours beau. Je sais ce que je sais ; on ne me trompe pas ! » Dès lors M. Wallace fut convaincu de sorcellerie. De plus il savait tout, et lorsqu’il refusait de répondre aux questions qui lui étaient faites, c’est qu’il ne voulait pas parler. C’est ainsi qu’il ne voulait pas dire où était « le grand navire nommé Jong » où tous les Chinois et Bougis allaient vendre leurs marchandises, et d’où il était probablement venu lui-même !

Un jour, une députation de Wanumbai vint lui dire qu’on avait une communication à lui faire. On lui conta une histoire fort longue et fort compliquée où les gestes suppléaient souvent aux paroles. Il s’agissait d’une légende locale. Longtemps auparavant, des