la partie la plus basse de ces barques ; au lieu d’un gouvernail, il y en a deux, suspendus des deux côtés de la dunette, où ils sont attachés avec des cables de rotin à de fortes barres. Les timons ne sont pas sur le pont, ils entrent dans les flancs du navire par deux ouvertures assez larges, et sont gouvernés par deux jouroumoudis (timoniers) assis dans l’entre-pont. En face de la cabine du capitaine se trouvait une sorte de maisonnette construite en bambou et tapissée de nattes, dont un compartiment fut réservé à l’usage de M. Wallace. Jamais il ne fut si bien à bord des steamers européens ; ici, pas de goudron, pas d’huile, pas de vernis, aucun de ces abominables parfums qu’on respire sur nos navires ; rien que du rotin, des feuilles de palmier, du bambou, qui exhalent des souvenirs de forêt.
L’équipage se composait d’une trentaine d’indigènes de Célèbes, la plupart jeunes, robustes et de belle humeur. Ils portaient le pantalon de matelot et un foulard autour de la tête ; le soir, ils mettaient encore une jaquette de coton. En outre il y avait à bord une dizaine de Chinois ou de Bougis (indigènes de Célèbes) de mine respectable et que le capitaine traitait avec beaucoup d’égards. Ils étaient cependant presque tous ses débiteurs, c’est-à-dire ses esclaves pour un temps limité. C’est la loi introduite par les Hollandais, et il paraît qu’on s’en trouve fort bien : le débiteur insolvable devient l’esclave de son créancier, pour lequel il est tenu de travailler jusqu’à l’extinction de sa dette. Sans cette institution, les marchands seraient à la merci des nombreux agens auxquels ils sont obligés de confier leurs marchandises, car le jeu et la débauche ruinent ces derniers d’une manière chronique. L’état de « débiteur en liquidation » n’a d’ailleurs rien de déshonorant ; les petites gens trouvent une certaine satisfaction à faire partie de la maison d’un riche commerçant, ils sont d’ailleurs libres de trafiquer un peu pour leur propre compte. M. Wallace avait avec lui son domestique malais Ali et deux gars du pays. L’un de ces derniers s’était fait avancer quatre mois de ses gages sous couleur d’acheter des vêtemens pour lui-même et une maison pour sa mère ; en deux jours, il avait tout perdu au jeu, et il vint à bord sans vêtement, sans bétel, sans tabac et sans poisson sec, de sorte que M. Wallace dut envoyer Ali acheter pour lui ces divers objets de première nécessité. Le troisième serviteur était investi de la charge de marmiton ; aucun autre domestique n’avait voulu consentir à partager les risques d’un pareil voyage.
On partit au milieu de la pluie ; on louvoya toute la journée, et le soir on était rentré au port. On y resta encore quatre jours ; le cinquième, la pluie cessa, et l’on put enfin gagner le large. Pour se diriger sur la mer, le capitaine avait une boussole,