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peut-être même plusieurs nuits. M. Wallace montra le serpent à ses deux serviteurs, occupés à empailler des oiseaux ; ils se précipitèrent dehors en le conjurant de les suivre. A leurs cris, plusieurs indigènes accoururent d’une plantation voisine. L’un de ces hommes, très expert en pareille matière, se chargea de chasser le monstre de sa retraite. Il fit d’abord un nœud coulant de rotin, puis, avec une longue perche, il taquina le serpent jusqu’à ce qu’il pût lui passer ce nœud autour du corps ; tirant alors de toutes ses forces, il parvint à lui faire quitter le toit. Le serpent, qui se sentait entraîné, essayait de résister en s’enroulant furieux autour des chaises et des poteaux de la porte ; mais l’homme finit par lui saisir la queue et se mit à courir de toutes ses jambes afin d’écraser la tête du reptile contre un arbre. La bête lui échappa cependant et se glissa sous le bois mort. La chasse recommença, l’homme réussit à s’emparer de nouveau de la queue, et cette fois il put étourdir le serpent en le faisant tourner en fronde de manière à le lancer contre un tronc d’arbre ; on n’eut pas de peine à l’achever à coups de hache. Il mesurait près de quatre mètres et était très gros, il eût aisément avalé un enfant.

Un autre agrément de ces contrées, ce sont les tremblemens de terre. M. Wallace raconte d’une manière assez plaisante celui qu’il put observer à Rurukan, pointe nord-est de Célèbes, le 29 juin 1859. Vers huit heures du soir, la maison commença tout à coup de vaciller. Ce fut d’abord un balancement léger ; mais au bout de quelques minutes les secousses devinrent plus rudes. Les murs craquaient et semblaient près de s’écrouler. On entendait dans les rues le cri de tana goyang ! tana goyang ! qui signifie : la terre tremble ! Les habitans avaient quitté les maisons, les femmes et les enfans criaient et se lamentaient à fendre l’oreille. On ne pouvait pas marcher droit ; M. Wallace se sentait pris de vertige comme sur le pont d’un navire ballotté par les vagues. Les secousses étaient verticales et comme vibratoires, elles auraient suffi pour renverser des cheminées ou des clochers ; mais les chaumières basses des indigènes n’en eurent pas beaucoup à souffrir. De dix en dix minutes, les secousses se répétaient en s’affaiblissant. « Il y avait dans notre situation un singulier mélange de terrible et de risible. Nous pouvions à chaque moment nous attendre à une secousse assez forte pour faire crouler la maison sur nos têtes, ou, ce qui était encore plus à craindre, pour occasionner un glissement du sol qui nous aurait entraînés au fond du ravin sur le bord duquel le village était bâti. Malgré cela, je ne pouvais m’empêcher de rire chaque fois qu’à la moindre secousse nous nous précipitions dehors pour rentrer l’instant d’après. Le sublime et le ridicule se touchaient ici