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impossibles à décrire, et un naturaliste peut seul comprendre la joie profonde que j’éprouvais quand je finis par m’en emparer. Lorsque je l’eus tiré de mon filet et que j’écartai ses ailes glorieuses, mon cœur se mit à battre violemment, le sang me monta au cerveau, et je fus beaucoup plus près de m’évanouir que je ne l’ai jamais été dans un danger de mort immédiate. Tout le reste du jour, j’eus la migraine, tant avait été grande la surexcitation produite par ce qui semblera à bien des gens fort peu de chose. » Le papillon qui causa tant d’émotion à M. Wallace a reçu le nom d’ornithoptère Crésus.

Ces plaisirs de collectionneur n’étaient cependant pas exempts de danger, car les serpens abondent sous ce ciel tropical. A Makian, dans l’île de Batchian, M. Wallace venait de se coucher à bord de l’embarcation qui l’avait amené, La cabine n’était éclairée que par la faible lueur d’une petite lampe ; ne trouvant pas son mouchoir à sa portée, il crut l’apercevoir sur une malle placée à côté du lit, et étendit la main pour le prendre. Il la retira bien vite, car l’objet qu’il avait touché était froid et lisse. L’alarme donnée, on apporta de la lumière, et l’équipage tint conseil sur le moyen de se débarrasser du serpent. Un ancien convict qui se trouvait à bord s’enveloppa la main d’un drap pour saisir la bête, qui déjà dressait la tête ; mais il n’avait pas l’air très rassuré, et M. Wallace craignit qu’il ne laissât le serpent s’échapper sous les colis. Il prit donc lui-même un couperet, et, s’approchant par derrière, l’abattit sur le dos du reptile, qu’il tint ainsi assez longtemps pour que son domestique pût lui écraser la tête avec une hache. Ce serpent avait de forts crochets remplis de venin, et c’est par miracle que M. Wallace n’avait pas été piqué. Une autre fois, — ce fut dans l’intérieur de l’île d’Amboine, — il était assis comme d’habitude sous la vérandah de sa maisonnette ; la soirée était belle, et M. Wallace lisait à la lumière d’une chandelle, toujours prêt à capturer les insectes qui étaient attirés par la flamme. Tout à coup il entend au-dessus de sa tête un frôlement, comme d’un animal lourd se traînant sur le toit de chaume. Il écoute, le bruit cesse ; bientôt il n’y pense plus, et, ayant fini sa lecture, il va se coucher. Le lendemain, dans l’après-midi, il était étendu sur sa couchette, un livre à la main, lorsqu’en regardant par hasard au-dessus de lui, il vit quelque chose d’inaccoutumé dans les poutres du toit : c’était une masse arrondie, noire avec des taches jaunes, qu’il prit d’abord pour une écaille de tortue, mais dans laquelle il ne tarda pas à reconnaître un énorme serpent python enroulé en spirale. Deux yeux jaunes brillaient dans l’obscurité juste au-dessus de la tête du naturaliste, qui avait passé la nuit dans cette agréable société, —