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surpris de trouver à Java des espèces animales identiques à celles qui existent au Bengale et à Siam, tandis que ces espèces manquent à Sumatra et à Bornéo, ou n’y sont représentées que par une espèce alliée, mais distincte. C’est le cas pour le rhinocéros de Java et pour un certain nombre d’oiseaux remarquables. La tradition javanaise a même conservé le souvenir d’une séparation violente des îles de Java et de Sumatra qui aurait eu lieu il y a mille ans ; ce serait alors une seconde séparation, postérieure de beaucoup à celle qui a inauguré la fracture de la grande presqu’île asiatique. Lorsqu’on essaie de suivre M. Wallace dans ses déductions relatives à des phénomènes déjà si éloignés de nous, on ne peut s’empêcher de remarquer combien la base en est incertaine. Rendre compte en détail de la distribution actuelle des espèces par des changemens successifs survenus dans la configuration du sol semble alors une entreprise aussi hasardeuse que de reconstituer un livre écrit dans une langue inconnue par la réunion de quelques milliers de fragmens de ses feuilles déchirées. Le seul fait qui paraisse démontré, c’est la parenté étroite de la région indo-malaise et de l’Asie méridionale, et cette parenté devient encore plus frappante par le contraste des îles voisines, qui relèvent évidemment de l’Australie.


II

Les deux îlots de Bali et de Lombok, situés en face de la pointe orientale de Java, offrent un double intérêt : d’abord parce que ce sont les seuls points de l’archipel où la religion des Hindous ait pu se maintenir, ensuite parce que l’opposition des deux grandes divisions zoologiques n’est nulle part aussi manifeste. M. Wallace a visité ce groupe dans l’été de 1856 un peu malgré lui, parce qu’il ne trouva pas de navire pour aller directement de Singapour à Macassar, comme il en avait eu l’intention ; mais il n’a pas eu à regretter ce détour, qui fut pour lui l’occasion de plus d’une découverte importante.

À Lombok, ses collections s’enrichirent d’une foule d’oiseaux rares. Il allait à la chasse avec son domestique malais Ali et avec un Portugais nommé Manuel, qui était habile à empailler les oiseaux. Quoique chrétien, Manuel affectait de parler comme les musulmans. Lorsqu’il était assis le soir devant la maison, occupé à préparer les peaux des volatiles qu’on avait rapportés d’une excursion, il tenait des discours philosophiques à son auditoire de Malais et de Sassaks (c’est le nom que se donnent les indigènes de l’île). « Allah nous a été favorable aujourd’hui, disait-il, il nous a envoyé de bien jolis oiseaux. Sans lui, nous ne pouvons rien. — C’est vrai,