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d’altitude. La route est bordée de broussailles et de fougères arborescentes d’une variété infinie ; on en compte sur ce seul point environ trois cents espèces distinctes. Le petit plateau de Tjiburong, où l’on a construit une cabane en planches à l’usage des voyageurs, marque la fin de la grande route ; à partir de ce point, la montée devient beaucoup plus raide. On traverse un torrent d’eau presque bouillante dont les vapeurs blanchâtres enveloppent une végétation des plus riches. A une hauteur de 2,250 mètres, on rencontre une autre cabane de bambou dans une clairière. Le sommet du Pangerango est une plaine ondulée que borde un rempart assez bas, fendu d’un côté par une profonde crevasse. Le panorama qui s’étend au pied de la montagne est magnifique lorsqu’on peut le contempler baigné de lumière ; mais M. Wallace a toujours eu de la pluie au-dessus et au-dessous de lui pendant les deux visites qu’il a faites au sommet de cet ancien volcan. Toutefois il n’a pas eu à regretter son temps, car il a pu faire les observations les plus curieuses sur la distribution des plantes à diverses hauteurs. Entre 500 et 1,500 mètres, la flore des tropiques offre un développement extraordinaire ; les fougères en arbres atteignent ici des hauteurs de 15 mètres, et leurs formes élégantes donnent à la végétation un aspect tout particulier. Vers 1,000 mètres, on rencontre déjà quelques plantes herbacées des régions tempérées, et l’on cueille sur le bord de la route de pâles violettes, ainsi que des fraises assez insipides. A 1,800 mètres, on trouve des framboises en abondance. A 2,000 mètres, le cyprès fait son apparition ; les arbres de la forêt diminuent de hauteur et se montrent couverts de mousse et de lichen. Au-delà de 2,500 mètres, la flore ressemble déjà tout à fait à celle d’Europe, l’armoise, le chèvrefeuille et le sureau vous saluent comme de vieilles connaissances. C’est ici que M. Wallace a vu la belle primevère impériale, qui, dit-on, ne croît que sur ce seul point du globe. La tige, très forte, atteint la hauteur de 1 mètre et porte de quatre à cinq corymbes, les feuilles radicales ont une longueur de 45 centimètres. Lorsqu’on approche du sommet de la montagne, les arbres deviennent de plus en plus rabougris ; ils ne dépassent pas le bord de l’ancien cratère. Le vaste champ qui en forme l’intérieur est couvert de fleurs et d’arbustes européens, et cette ressemblance extraordinaire de flores géographiquement si séparées n’est certes pas facile à expliquer. Le pic de Ténériffe, les montagnes de Bourbon et d’Ile-de-France ne présentent rien de pareil, quoique ces îles soient plus rapprochées de l’Europe. On sait d’ailleurs que certaines plantes qui croissent sur les sommets des Alpes se rencontrent en Laponie, et que d’autres existent à la fois au Labrador et sur les Montagnes-Blanches de l’Amérique du Nord, tandis qu’elles sont inconnues dans les plaines qui séparent les deux habitats. Dans tous ces cas, il est impossible