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chanter ; l’un d’eux, grand artiste, produisait avec sa main placée sous l’aisselle un son de trompette ; la mesure étant bien observée par les exécutans, le morceau parut à M. Wallace d’un effet musical assez agréable ! En prenant son repas du soir, il servit à son tour de spectacle à ses hôtes, qui se pressaient autour de lui en cercle serré, faisant tout haut leurs remarques à chaque bouchée qu’il avalait, et il ne put s’empêcher de penser aux lions que le public regarde manger dans une ménagerie.

Parmi les fruits qui sont cultivés par les indigènes, le plus agréable est sans contredit le durian. Il est rond, grand comme une noix de coco, de couleur verte et hérissé de piquans très durs. Apres l’avoir divisé avec un couteau, on trouve cinq cellules remplies d’une pulpe blanche et de deux ou trois graines de la grosseur d’un marron. « Cette pulpe est d’un goût indescriptible. Cela rappelle à la fois les œufs au lait, la crème aux amandes, l’oignon rôti, le sherry et encore une foule d’autres choses aussi incongrues. Cela fond sur la langue comme rien de ce qui est connu, cela n’est ni acide, ni sucré, ni juteux ; mais aucune de ces qualités ne semble manquer, car, tel que cela est, c’est parfait. On n’éprouve aucune nausée, et plus on en mange, moins on a envie de cesser. En fait, manger du durian est une sensation toute nouvelle qui vaut bien un voyage en Orient. » On ne cueille ces fruits que lorsqu’ils tombent des arbres ; si la récolte a été abondante, on les conserve salés. Ce qui est curieux, c’est qu’ils exhalent une odeur repoussante ; d’après M. Bickmore[1], il suffit d’un fruit pour infecter une maison, et à l’époque de la maturité les villages entiers sont empestés de ce parfum d’oignon pourri. Le durian peut d’ailleurs devenir très dangereux, non point s’il est mangé, mais s’il vous tombe sur la tête. Ce n’est pas ici que le villageois de La Fontaine se fût plaint de trouver la citrouille par terre et le gland au sommet du chêne. Deux des fruits les plus lourds, le durian et la noix de la Berthollétie du Brésil, sont portés par des arbres fort élevés, d’où ils tombent lorsqu’ils sont mûrs, et ils endommagent souvent les têtes indigènes.

L’île de Java a été visitée par M. Wallace en 1861. L’incident le plus remarquable de son séjour fut une excursion au sommet de la montagne volcanique de Pangerango, élevée d’au moins 3,000 mètres au-dessus de la mer. Le Pangerango est un cratère éteint ; mais un autre cratère encore actif, le Gedéh, existe en un point plus bas de la même chaîne, Pour faire l’ascension, on part de Tchipanas, où se trouve une succursale du célèbre jardin botanique de Buitenzorg. Après une heure de marche en rase campagne, on entre dans la forêt vierge qui couvre les flancs de la montagne à partir de 1,500 mètres

  1. Travels in the East Indian Archipelago, London 1868.