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dessus pour le sucer avec frénésie jusqu’à ce que, convaincu de l’inutilité de ses efforts, il le lâchât en poussait des cris désespérés. Tant qu’on le portait sur les bras ou qu’on le faisait boire, il était très gentil et très sage ; dès qu’on le laissait seul, il criait comme un possédé. M. Wallace trouva bientôt nécessaire de laver son nourrisson tous les jours à grande eau, ce qui parut lui plaire ; il se laissait brosser et peigner avec un plaisir visible. Dans les premiers temps, il se cramponnait à tous les objets qu’il pouvait saisir, et, à défaut d’autre chose, il saisissait, en se croisant les bras, les longs poils de ses épaules ; mais ce besoin de préhension diminua bientôt, et M. Wallace imagina alors de lui faire faire des exercices de trapèze pour lui développer les bras. Voyant à quel point le petit singe recherchait tout ce qui offrait une prise à ses doigts crochus, il lui fabriqua une mère artificielle avec une peau de buffle qu’il suspendit à l’entrée de la hutte. Le premier jour tout alla bien, et le petit animal parut très heureux de se cramponner passionnément au dos du faux singe ; mais il ne tarda point à avoir la bouche pleine de poils et manqua d’étouffer. Il fallut renoncer à ce jeu trop dangereux. Au bout d’une semaine, on réussit à faire accepter au petit maias une nourriture plus solide ; du biscuit préparé avec du jaune d’œuf et du sucre, des patates douces, semblaient surtout lui convenir. Ce fut chose curieuse de voir l’expression de satisfaction suprême avec laquelle il tirait les joues en dedans et tournait les yeux au plafond lorsqu’il avait trouvé une bouchée à son goût, puis ses grimaces lorsqu’il crachait un morceau qui ne répondait pas à son attente. On put lui donner pour compagnon un jeune macaque, avec lequel il se familiarisa promptement. Le macaque cependant abusait de la jeunesse de son camarade de captivité ; il se couchait commodément sur le ventre ou même sur le visage du maias sans le moindre égard pour la dignité de ce dernier. Pendant qu’on faisait manger le maias, le macaque guettait les bribes et cherchait à intercepter la cuillère ; ensuite il lui ouvrait la bouche pour voir s’il y restait quelque chose à glaner, et finissait toujours par se recoucher sur son ventre. Le petit supportait ces outragés avec une patience exemplaire, heureux encore d’avoir quelque chose de chaud à la portée de ses longs bras ; il prenait d’ailleurs sa revanche quand le macaque voulait s’en aller, car alors il le retenait ferme par la queue ou par la peau du dos. L’agilité et l’intelligence du macaque, qui visitait tous les coins de la maison, faisaient paraître encore plus gauche par contraste le pauvre maias, qui restait étendu sur son dos, gigottant et criant comme un nouveau-né. M. Wallace ne put pas le garder plus de trois mois : la pauvre bête mourut après une courte maladie. On s’aperçut alors qu’il avait eu un bras cassé, mais la guérison avait dû être rapide.