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de 11 ou 12 mètres ; l’inclinaison de la ligne qu’il décrivait était donc à peine de 1 mètre sur 5. Le galéopithèque se nourrit de feuilles ; il fait partie des singes à queue prenante, mais semble former une transition vers les marsupiaux.

Les observations les plus intéressantes que M. Wallace a pu faire à Bornéo sont relatives à l’orang-outang, dont le nom indigène est maias, et qui abonde dans les forêts. La force musculaire et la grande ténacité vitale de cet animal en rendent la chasse difficile, et ont donné lieu à une foule de légendes parmi les indigènes. Les Dayaks prétendent qu’il n’a point d’ennemis à sa taille. « Les seules bêtes qui osent l’attaquer sont le crocodile et le serpent python. Le crocodile tente parfois de s’emparer d’un maias qui vient chercher de jeunes pousses sur les bords d’une rivière ; mais le singe lui saute dessus, le frappe de ses pieds, lui ouvre la gueule et la déchire avec ses deux mains. Lorsqu’il se trouve en face d’un python, il le saisit et le mord de manière à le tuer. Le maias est très fort ; il n’y a pas de bête aussi forte que lui dans les jungles. » Toutefois aucun des orangs que M. Wallace a vus, et il en a tué lui-même dix-sept, ne mesurait debout plus de 1m27, et 2m33 entre les bras étendus ; la largeur de la face peut atteindre 34 centimètres. Ce qu’on a dit de l’existence de singes aussi grands que les gorilles dans les îles de la Sonde repose sur des exagérations faciles à commettre, car de loin ces animaux paraissent plus grands qu’ils ne sont à cause de leurs énormes bras : c’est ce que prouve le cas d’un orang de Sumatra, décrit par le docteur Clarke Abel ; le capitaine et les matelots qui l’avaient tué disaient qu’il leur avait paru d’une taille gigantesque, de sept pieds au moins, mais qu’une fois abattu il n’excédait pas six pieds. Or la peau de ce même animal est conservée au musée de Calcutta, et l’on a constaté qu’il n’a dû être que d’une taille ordinaire, c’est-à-dire ne dépassant pas 4 pieds ’1m22). Pour aller d’un arbre à l’autre, l’orang marche le long des branches les plus fortes, dressé sur ses pattes de devant ; lorsqu’il est au bout, il saisit et rassemble quelques rameaux de l’arbre opposé, dont il essaie la solidité avant de s’élancer ; néanmoins tout cela s’exécute si rapidement qu’on a peine à le suivre à terre, même en courant ; il peut faire ses 10 kilomètres à l’heure en sautant ainsi d’arbre en arbre. Avec une seule balle, il est rare qu’on en ait raison, et bien des fois le chasseur se voit obligé de couper un arbre pour s’emparer d’un orang qu’il a tué, parce que l’animal se blottit en mourant dans une branche fourchue qui l’empêche de tomber.

Le récit d’une de ces chasses n’est pas sans intérêt. Un jour, le petit domestique anglais de M. Wallace se précipite dans la hutte, essoufflé et très ému, en criant : Venez, venez vite avec votre fusil, il y a un gros maias dehors ! M. Wallace saisit sa carabine, toujours