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les bords du Simanjon, — petite rivière qui se jette dans le Sadong, — avait nécessité la construction d’une voie ferrée de 3 kilomètres à travers la forêt, et pendant quelques mois une cinquantaine de Chinois et de Dayaks (indigènes de Bornéo) n’avaient fait que couper des arbres et les scier en planches. M. Wallace arriva au moment où le soleil, succédant à des pluies torrentielles, faisait éclore « tout ce qui rampe et qui grouille. » En quinze jours, il eut doublé le nombre de ses coléoptères, la moyenne de chaque jour étant d’environ vingt-quatre espèces nouvelles ; en tout, il rapportait à Sarawak deux mille spécimens divers, parmi lesquels trois cents capricornes aux longues antennes et cinq cents rhynchophores (tribu des charançons), pour la plupart inconnus.

Si les papillons ne sont pas trop nombreux sur ce point, en revanche on en trouve d’une rare beauté, et notamment des ornithoptères aux couleurs éclatantes. M. Wallace a donné le nom de Brooke à une espèce des plus rares, dont les ailes semblent être faites de velours noir agrémenté de petites plumes d’un vert métallique, et qui porte au cou un large collier cramoisi. Une autre capture très intéressante fut celle d’une grenouille volante qu’un ouvrier chinois rapporta un jour de la forêt. Ce reptile a des doigts très longs et palmés qui, complètement écartés, offrent une surface plus large que le corps de l’animal. Les pattes de devant sont en outre bordées d’une membrane, et le corps est susceptible d’un gonflement considérable ; les extrémités des doigts sont pourvues de ventouses, comme chez la rainette ordinaire, pour faciliter l’ascension aux arbres. Les partisans de la doctrine de Darwin verront là un exemple curieux d’adaptation des organes à des conditions d’existence particulières, car les doigts de ces grenouilles, déjà appropriés à la natation et à la marche adhésive, se sont transformés de manière à servir de parachutes pour des voyages d’un arbre à l’autre, assurant ainsi à cette espèce une supériorité sur ses alliées. On rencontre une faculté analogue chez le galéopithèque ou lémur volant, petit singe pourvu d’ailes de chauve-souris qui lui permettent de traverser l’air sur de grandes distances. Il existe dans les forêts de Bornéo ; mais il se rencontre plus souvent à Sumatra. Ses mouvemens sont paresseux ; lorsqu’il grimpe aux arbres, il le fait par saccades, se reposant à chaque instant, comme si la besogne était dure. Pendant le jour, il reste cramponné à quelque grosse branche, avec laquelle il semble se confondre grâce à la couleur de sa fourrure, qui est olivâtre et irrégulièrement tachetée de blanc. Un jour, à l’heure du crépuscule, M. Wallace vit un de ces animaux monter à la cime d’un arbre isolé dans une clairière, pour de là descendre obliquement à travers les airs vers la base d’un autre arbre, éloigné de 65 mètres mesurés au pas ; pendant ce trajet, il ne s’abaissa que