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où l’on marchait souvent dans la boue jusqu’aux genoux, on était beaucoup incommodé par les sangsues terrestres qui infestent cette région. Elles se tiennent sur les herbes et sur les feuilles des arbres, et dès qu’elles entendent un bruit de pas, elles se dressent et se tendent de toute leur longueur pour s’attacher à la peau de l’animal ou de l’homme qui passe à leur portée. La première piqûre est à peine sensible, ce qui leur permet de se gorger de sang avant qu’on s’en aperçoive. En se baignant à l’approche de la nuit, les voyageurs découvraient ordinairement une douzaine de ces petites bêtes sur leurs jambes, quelquefois aussi sur d’autres parties du corps. M. Wallace, un soir s’en enleva une du cou ; elle s’était fixée tout près de la veine jugulaire. Les sangsues de Malacca sont assez petites, leur longueur n’excède pas 2 centimètres ; quelques-unes sont tachetées de jaune clair. A Bornéo, on en trouve qui atteignent 20 centimètres.

Avant d’arriver au sommet du Mont-Ophir, qui a plus de 1,200 mètres de hauteur, on traverse un plateau incliné de roche unie, que les indigènes appellent Padang-batu (champ de pierre). Dans les fissures du rocher poussent de très belles fougères arborescentes, des conifères et d’autres plantes que nos serres ne connaissent pas encore. De l’eau, on n’en trouve ici que dans les admirables réservoirs des népenthès. La feuille de ces plantes se termine en fil, et ce fil porte un véritable gobelet, surmonté d’un couvercle et toujours rempli de liquide. Le gobelet du népenthès-rajah de Bornéo en renferme jusqu’à deux litres. M. Wallace trouva l’eau des pitcher-plants très pure et potable, quoiqu’un peu tiède. Le sommet de la montagne est formé par un plateau pierreux couvert de rhododendrons et d’autres broussailles. La forêt qui l’entoure donne asile au tigre et au rhinocéros ; mais les éléphans, qui étaient encore nombreux il y a trente ans, ont complètement disparu. M. Wallace resta plusieurs semaines au pied du Mont-Ophir, où les indigènes lui avaient construit une hutte, et revint à Malacca avec un riche butin.

De Malacca, il se rendit a Bornéo, où il fit un séjour de quinze mois. Le feu rajah, sir James Brooke, le reçut à bras ouverts ; il le fit loger chez lui toutes les fois que M. Wallace revint à Sarawak, sa capitale. Pendant les neuf mois que ce dernier passa dans l’intérieur, près des mines de charbon de Simanjon, il vit ses collections d’insectes s’accroître de jour en jour, et il déclare qu’il n’a retrouvé une pareille abondance sur aucun autre point du globe dans les douze ans de sa vie de naturaliste errant. Le nombre et la variété des coléoptères et de beaucoup d’autres insectes que l’on peut espérer de recueillir sur un point des tropiques dépendent d’abord du voisinage plus ou moins immédiat d’une forêt vierge, ensuite de la quantité d’arbres récemment abattus. Or l’ouverture des mines sur