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trouvent de passage à Singapour. Dans le port, les navires de toutes les nations civilisées se croisent avec les jonques chinoises et les praous des Malais, comme dans l’intérieur de la ville les mosquées, les temples hindous, les bazars chinois, alternent avec des maisons d’Européens bâties dans tous Les styles.

Dans ces bazars, on est étonné d’acheter une foule d’objets d’industrie moins cher qu’on ne les paierait en Europe : du fil blanc, des canifs, des tire-bouchons, de la poudre, du papier à écrire, vous sont offerts à très bas prix. Les propriétaires de ces échoppes sont d’ailleurs accueillans ; ils vous montrent avec empressement toutes leurs marchandises, et n’ont pas l’air mécontent, si vous les quittez sans avoir rien acheté. Ils surfont un peu et se laissent marchander ; mais ce reproche s’applique beaucoup moins aux Chinois qu’aux Klings, qui demandent généralement le double du prix qu’ils acceptent pour leur marchandise. Il suffit d’avoir une fois acheté quelque chose à un de ces marchands pour qu’il vous considère comme son client ; s’il vous voit passer, il vous adresse la parole, vous engage à entrer, à vous asseoir et à prendre une tasse de thé avec lui. On a quelque peine à comprendre comment tous ces gens qui vendent les mêmes menus objets trouvent à gagner leur vie. Les tailleurs et les cordonniers travaillent bien et à des prix très modérés. Les barbiers ont toujours beaucoup de besogne ; ils rasent les têtes et nettoient les oreilles avec une foule de petits instrumens combinés pour cet usage. Dans l’enceinte de la ville, il y a des ateliers de forgerons qui s’occupent principalement de la fabrication de fusils, de beaux fusils à pierre dont les canons sont faits avec des barres de fer forées à la main. Les cris des porteurs d’eau, des fruitiers et marchands de comestibles sont aussi variés et aussi assourdissans que les cris de Londres ou de Paris. Quelques-uns se promènent avec un fourneau portatif au bout d’une perche passée sur l’épaule et lestée à l’autre bout d’une table sur laquelle on vous sert un repas de riz et de poisson pour deux ou trois sous.

Les jésuites français ont établi dans l’intérieur des missions qui paraissent avoir beaucoup de succès parmi les Chinois. A Bakittima, ils possèdent une petite église assez prospère. On sait qu’ils ont le même succès en Cochinchine et en Chine ; leurs établissemens sont parsemés sur l’immense territoire du Céleste-Empire, et ils ont résisté à toutes les persécutions. Le secret de cette étonnante vitalité doit être cherché en partie dans l’économie avec laquelle les fonds disponibles sont administrés ; en tout pays, les missionnaires doivent vivre avec une somme de 750 francs par an. La compagnie peut ainsi multiplier le nombre de ses émissaires, et les indigènes, qui les voient vivre simplement et pauvrement, leur accordent bientôt leur confiance.