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sont graduellement transformés. Les premiers ensembles d’animaux sont marins, car toute vie a dû prendre naissance au sein des eaux[1], et les êtres animés, plongés d’abord dans un milieu liquide, n’ont acquis que plus tard et par un progrès lent les organes qui leur ont permis de respirer l’atmosphère et de se mouvoir librement sur le sol. Quoique tous les embranchemens soient dès lors représentés, il est facile de reconnaître dans les groupes de ces âges anciens les caractères d’une évolution en voie d’accomplissement. La tribu des crustacés trilobites donnait lieu à un type entièrement spécial. Leurs pattes molles, chargées de branchies, servaient à la fois à la natation et à la respiration. Les plus anciens n’ont pas d’yeux, d’autres n’en avaient que de rudimentaires ou seulement dans le jeune âge ; leurs métamorphoses étaient lentes, nombreuses, ils ne traversaient pas moins de vingt états avant de devenir adultes. M. Barrande, dont les études sur les trilobites des terrains de Bohème sont justement célèbres, a observé le retour de certaines formes ramenées sur les mêmes points après les avoir quittés, et reparaissant chaque fois légèrement différentes de ce qu’elles étaient auparavant. Nous touchons ainsi du doigt le phénomène de l’évolution, puisque la même espèce qui avait péri en Bohême, mais qui s’était conservée ailleurs, est retournée aux lieux qu’elle avait cessé de fréquenter après un temps suffisant pour la modifier, pas assez long pour la changer tout à fait.

Au-dessus des crustacés régnaient à cette époque les poissons, seuls vertébrés. Chez eux, au squelette interne, souvent mou ou peu résistant, correspondait un exosquelette ou cuirasse enveloppante formée de pièces juxtaposées, qui semble, selon la judicieuse remarque de M. Gaudry, s’amoindrir à mesure que le squelette interne constitue en s’ossifiant une charpente solide. Les plus curieux, connus sous le nom de placo-ganoïdes, plastronnes à la partie antérieure du corps et présentant par là une singulière analogie avec les crustacés, semblent effectivement s’en rapprocher assez pour diminuer un peu l’intervalle énorme qui sépare les deux embranchemens. En considérant les caractères de ces poissons primitifs, qui continuent à dominer jusque dans les temps secondaires, pour devenir ensuite de plus en plus rares et faire place aux

  1. Les eaux douces n’ont joué d’abord qu’un très faible rôle à cause du peu d’étendue des continens ; elles étaient d’ailleurs moins distinctes qu’aujourd’hui de celles de la mer, dont la salure n’était pas aussi prononcée, ou se trouvait constituée à l’aide de substances différentes. Beaucoup de terrains de ces premiers âges présentent des traits ambigus qui empêchent d’en saisir le vrai caractère. Les bassins houillers ont dû se former dans l’eau douce, mais à proximité des mers, qui opéraient de fréquens retours ; de là les alternatives bien connues entre les lits de houille et les lits de carbonifère marin.