Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déjà voilés chez d’autres, ils s’effacent ou se réduisent dans un grand nombre à des indices à peine saisissables ; mais cette gradation n’a rien qui doive surprendre. Les espèces ont divergé de plus en plus en s’éloignant du rameau commun où se rattache leur origine. Chacun de ces rameaux est sorti d’une branche issue elle-même d’une souche plus ancienne. L’ensemble de ces ramifications compose un arbre généalogique immense dont on ne retrouve plus maintenant que des fragmens épars. Les branches-mères qui correspondent aux embranchemens et aux règnes échappent à nos investigations. Rien n’autorise donc, en dehors d’indices paléontologiques suffisans, la croyance à un prototype unique ou multiple d’où seraient sortis tous les êtres, sinon à titre de pure hypothèse. L’école transformiste n’a pas plus à se préoccuper de cette question que les partisans des créations successives n’ont eu à rechercher les circonstances, assurément très singulières, qui auraient été le corollaire obligé de l’apparition instantanée des espèces. Tout ce que la science peut faire, c’est de remonter jusqu’à la plus vieille période biologique. Au-delà, l’esprit trouve une barrière encore fermée, qu’il conserve pourtant l’espoir de franchir quelque jour.

La recherche des liaisons et des passages devait être la principale préoccupation de l’école transformiste ; c’est aussi la pensée qui domine dans le cours professé par M. Gaudry à la Sorbonne. Tracée par lui, l’histoire de la vie se déroule par lambeaux, elle se déchiffre d’après des hiéroglyphes informes ; mais elle est pleine de mouvement et de vues fécondes. Il s’agit surtout de vaincre la difficulté croissante que l’on éprouve d’observer des passages dès que l’on quitte les espèces pour aborder les groupes les plus élevés. Les liens de parenté, graduellement amincis, devenus enfin pareils à des fils imperceptibles, se sont rompus dans la plupart des cas ; il faut s’attacher aux moindres indices. La nature actuelle, moins riche en traits originaux que celle des anciennes périodes, mais plus accessible et mieux explorée, fournit elle-même des exemples de transition ménagée entre les embranchemens et les classes. Les batraciens ne forment-ils pas un trait d’union entre les reptiles, avec qui on les a longtemps confondus, et les poissons, qu’ils confinent par l’axolotl et le lépidosiren ? Chez les poissons eux-mêmes, le caractère de vertébré tend à s’effacer dans les cartilagineux ; les derniers de l’échelle tendent à se confondre avec les mollusques, et les naturalistes, selon le témoignage de M. Agassiz, ne s’accordent pas davantage sur les limites de l’embranchement des articulés par rapport à celui des vers et même des infusoires.

A cet égard cependant, les enseignemens de la paléontologie font entrer dans le vif de la question en montrant comment les êtres se