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vite, suivant une loi établie par M. Gaudry, que leur structure est plus parfaite et leur rang plus élevé dans chaque série[1]. Cette loi, qu’il est impossible d’infirmer, contredit la pensée de ceux qui rattachent l’origine des êtres à des créations successives, car ces créations auraient dû être motivées par quelque chose, tandis qu’à des termes rapprochés, comme le sont les derniers étages tertiaires, il est impossible de comprendre pourquoi les espèces de tapirs, de mastodontes, de rhinocéros, se seraient remplacées à de si courts intervalles alors que le règne végétal tout entier et l’immense majorité des animaux inférieurs avaient déjà revêtu les traits qui les distinguent encore.

Si les renouvellemens biologiques, ainsi que nous venons de le montrer, n’offrent aucun caractère de généralité, si de plus ces changemens, considérés dans les diverses séries d’êtres organisés, n’ont rien qui doive les faire coïncider entre eux et ne se rattachent par aucun lien direct aux perturbations physiques qui ont modifié le relief de la surface terrestre, il est évident que le seul système susceptible d’être invoqué en dehors de celui de l’évolution consisterait dans l’introduction successive de nouvelles espèces, créées une à une, à des momens irréguliers et par intermittences. Séduisante par sa simplicité, cette idée a été adoptée par beaucoup d’esprits, aux yeux desquels elle paraît traduire les faits dans l’ordre même où le géologue les observe. En effet, lorsque celui-ci explore les diverses parties d’un terrain et que son attention s’arrête sur une espèce qu’il rencontre pour la première fois, il se dit instinctivement que cette espèce a dû autrefois apparaître au sein des eaux de la même façon qu’elle se montre à lui, c’est-à-dire sans antécédent visible. Cette manière de raisonner n’est rigoureuse qu’en apparence, en réalité elle transforme en solution le phénomène lui-même dont il s’agit de pénétrer l’origine. La présence à l’état fossile de coquilles plus ou moins distinctes de celles qui s’étaient montrées auparavant n’implique pas nécessairement l’idée que ces

  1. La loi ainsi formulée est applicable à l’homme lui-même, puisque ses premiers vestiges ne remontent pas au-delà du tertiaire supérieur, au moins dans l’état présent des connaissances, et sont encore très rares jusque vers le milieu du quaternaire ; il a pris depuis cette époque, relativement peu ancienne, une extension rapide, et a multiplié, dans une mesure qui dépasse tout ce qui s’était encore vu, les divergences physiques, intellectuelles et morales qui constituent les races de son espèce, demeurées pourtant fécondes entre elles. On voit que la tendance des idées d’évolution serait plutôt favorable à la monogénie ; mais, les recherches d’origine devant s’appuyer au moins sur des indices ou présomptions paléontologiques qui jusqu’ici font absolument défaut, cette question, malgré les insinuations malveillantes auxquelles le nom de M. Darwin a été souvent mêlé sans motifs, paraît devoir rester en dehors de celles que la doctrine de l’évolution peut être tentée de résoudre.