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piliers avec du bitume, on améliore les aménagemens ; mais, on a beau faire, cette vieille masure plie sous le faix du temps, elle sue je ne sais quelle vétusté sale et repoussante qui la rend horrible. Les détenus n’ont pas de réfectoires, ils mangent dans la cour ; c’est dans la cour aussi qu’ils font leur toilette à une fontaine banale ; quand il pleut, ils se tiennent dans une vaste salle située au rez-de-chaussée, composée de sept ou huit chambres dont on a jeté les refends par terre tout en conservant des portions de gros murs, salle basse dont les pavés se soulèvent, qui offre partout des angles obscurs que pénètre bien difficilement l’œil des gardiens. C’est là, dans ces lieux de réunion redoutables, dans ce chauffoir, qu’on chuchote le langage parlé dans les villes maudites, qu’on se vante de ses hauts faits, qu’on en médite de nouveaux, qu’on prépare longtemps à l’avance les bons coups que l’on pourra faire quand la peine sera expirée, qu’on organise ces associations qui mettent la police sur pied, terrifient les honnêtes gens et lassent la justice. On entre là après avoir commis une peccadille, on en sort préparé au crime et mûr pour le bagne. Le système en commun, si l’on s’obstine à le conserver par un esprit de philanthropie mal entendu, doit tout au moins être appliqué dans des maisons larges, disposées précisément en vue de la surveillance, sous l’œil incessamment ouvert d’une armée de gardiens. Sous aucun prétexte, on ne doit lui donner pour asile des lieux qui semblent destinés à faciliter aux détenus leurs conciliabules secrets. Il est certain que le régime en commun fournit trois fois plus de récidivistes que le système de l’isolement. Quant à la moralité, ce qu’elle souffre dans de pareils cloaques où l’égout social semble avoir dégorgé toutes ses immondices, on ne peut le soupçonner. La promiscuité des cours, des ateliers, des dortoirs, engendre une corruption indicible. Il y a quelques années, un magistrat éminent, visitant Sainte-Pélagie, demanda au directeur quel était le résultat du régime en commun. Pour toute réponse, celui-ci lui mit sous les yeux les correspondances que les détenus échangeaient entre eux et qu’il avait saisies. Le magistrat, comme membre du parquet, plus tard comme conseiller à la cour impériale et président des assises, avait vu se dérouler devant lui ce que la débauche a de plus hideux. Il recula d’horreur, et, à l’heure qu’il est, après plus de dix ans, il ne peut en parler sans dégoût.

Tous les prisonniers de Sainte-Pélagie ne vivent pas au milieu de la tourbe immonde qui remplit la maison. Quelques-uns obtiennent d’être à la pistole, c’est-à-dire de partager une chambre avec trois ou quatre compagnons, moyennant une redevance quotidienne qui varie de 10 à 20 centimes. Les pistoliers forment l’aristocratie de l’endroit ; en général, ils restent volontiers chez eux et ne