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quelques madriers qui servaient à des réparations, il en prit un, le dressa contre la muraille de telle sorte qu’il put atteindre le faîte. Il descendit en se laissant glisser sur la poutre qu’il avait attirée jusqu’à lui, et se trouva dans le chemin de ronde où le factionnaire, bien enfoui au fond de sa guérite, dormait probablement enveloppé de sa capote. Charreau voulut escalader le dernier mur ; mais il s’en fallait de 6 mètres que le madrier fût assez long. Il revint alors sur ses pas, et, après avoir arraché la grille de l’égout qui, desservant la prison, aboutit au point de jonction du quai de la Râpée et du boulevard Mazas en amont du pont d’Austerlitz, il tenta de gagner ainsi les berges de la rivière et de saisir

Ce bijou rayonnant nommé la clé des champs ;


mais il avait compté sans la Seine, qui, grossie et violente, remplissait l’égout et battait la voûte. Le malheureux, qui ne savait point nager, lutta, grelottant, ballotté, à demi asphyxié. Il eut peur de mourir ; il refoula sa voie et revint se coucher dans sa cellule, où, dès le matin, il fut retrouvé trempé et transi de froid. Il fut immédiatement transporté aux Madelonnettes, où il fut gardé à vue jusqu’au jour où, dans son audience du 4 mai 1860, la cour d’assises le condamna a douze ans de travaux forcés.

Si Mazas est la prison modèle du régime cellulaire, Sainte-Pélagie montre, malgré les soins de l’administration, malgré l’incessante vigilance des hommes qui la dirigent, les inconvéniens sans nombre du régime en commun. Le premier défaut de Sainte-Pélagie est d’être une vieille maison appropriée tant bien que mal aux nécessités qu’elle doit satisfaire. Bâtie en 1665 par Marie Bonneau, veuve de Beauharnais de Miramion, et placée sous l’invocation de la comédienne qui scandalisait Antioche au V° siècle avant d’avoir embrassé le christianisme, la maison servait de refuge aux filles de mauvaise vie ; elle reçut aussi des enfans en correction et relevait de l’hôpital-général. Affectée en partie aux détenus pour dettes du 17 mars 1797 au 4 janvier 1834[1], elle forme un large quadrilatère bordé par les rues du Battoir, du Puits-de-l’Hermite, de Lacépède et de la Clé, où s’ouvre l’entrée principale. Là, plus de cellules, plus de préaux isolés ; des ateliers, des cours, des dortoirs, où les détenus sont mêlés les uns aux autres. Un corps de logis est spécialement réservé aux prisonniers politiques, ce qui permet à ceux-ci de n’avoir aucune communication avec les condamnés criminels. Chaque année, on rebadigeonne les murailles, on répare les escaliers, on enduit les

  1. Sainte-Pélagie était alors divisée en deux parties distinctes : la dette, qui s’ouvrait rue de la Clé, la détention, qui s’ouvrait rue du Puits-de-l’Hermite.