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par le préfet de police lui-même. Le cachot est simplement une cellule démeublée qu’au besoin l’on rend obscure en fermant les volets. La nuit, le prisonnier y couche sur une paillasse ; le jour, il n’a que les carreaux nus pour s’asseoir. Il y est privé de travail et au pain sec ; mais il lui est permis de fumer, comme dans sa cellule. Les murs sont tailladés d’inscriptions dont quelques-unes, sinistres par leur violence, ne prouvent pas un grand esprit de repentir chez les condamnés. On a rarement besoin d’avoir recours au cachot, car les infractions au règlement sont peu communes, et la rébellion est inconnue. La solitude et le travail obligatoire matent l’homme le plus récalcitrant, et par uns action lente, mais continue, désagrègent les plus robustes instincts de résistance. Aussi en 1868 on n’a prononcé à Mazas que 427 punitions, et cependant le mouvement général avait été de 10,159 entrées et de 10,158 sorties, qui ont représenté 387,977 jours de détention. A la fin du mois de décembre, la prison contenait 1,110 détenus ; c’est là du reste le chiffre moyen de la population de Mazas.

Les prisonniers ne sont point dans un isolement aussi complet qu’on pourrait le croire, et notre système cellulaire, mitigé par l’influence de nos mœurs, est singulièrement moins rigoureux que celui des Américains ; les surveillans, les contre-maîtres, le directeur, les avocats, qui ont des parloirs particuliers, les aumôniers, sont en rapports fréquens avec les détenus, et il n’est pas de jour que les portes des cellules ne s’ouvrent plusieurs fois. Le dimanche, à neuf heures précises, elles sont toutes, quoique maintenues closes par le verrou, entre-bâillées sur une largeur de 6 centimètres, car il faut que chacun puisse participer au service divin. Le haut de la rotonde qui occupe le centre du rond-point est disposé en chapelle ; l’autel, le christ, les grands flambeaux, le prêtre qui officie, le diacre qui l’assiste, le prévenu vêtu en bedeau qui le sert, sont visibles de toutes les cellules étagées dans les six galeries, à la condition que le prisonnier appliquera son œil à l’ouverture de la porte. Cela est solennel et triste. Lorsque le prêtre debout, tenant son aspersoir en main, jette l’eau bénite vers toutes les cellules, on dirait qu’il donne l’absoute à des morts. Des prévenus choisis parmi ceux qui savent la musique chantent dans une sorte de tribune circulaire faisant face à l’autel ; l’un d’eux joue de l’orgue, un autre donne le ton sur une contre-basse. Quand j’ai assisté à la messe de Mazas, on avait joint à ces chantres de hasard un détenu qui soufflait à toute poitrine dans un cornet à pistons ; c’était bien mettre le diable dans un bénitier. J’avais cru jusqu’alors que les instrumens de cuivre, les flûtes et les tambourins, maudits jadis par Apollon, organes de la matière et des délires orgiaques, étaient sévèrement exclus des églises,