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prévenus sur le sort desquels la justice n’a point encore prononcé ; mais il est rare que ceux-ci ne demandent pas, comme une faveur, d’être employés à une besogne quelconque pour fuir l’ennui qui les dévore dans leur solitude.

Chaque détenu se promène une heure par jour, il n’y est pas absolument forcé ; mais lorsqu’il s’y refuse, on tâche d’agir sur lui par la persuasion, afin de lui éviter les maladies que le défaut radical d’exercice peut produire. Il y a cinq promenoirs à Mazas, inscrits dans les triangles formés par les hautes murailles extérieures des galeries. Ce sont littéralement des roues. L’enceinte circulaire forme les jantes ; les préaux isolés sont les rayons ; ils aboutissent à la lanterne, rotonde où se tient le surveillant et qui correspond au moyeu. Les hommes sont là comme des ours dans une fosse ; ils vont et viennent lentement, sans communication possible avec leurs voisins, dont ils sont isolés par un mur, poussant mélancoliquement les cailloux, cherchant le soleil en hiver, l’ombre en été, levant la tête vers le ciel comme pour s’imprégner de lumière, suivant d’un œil d’envie l’oiseau qui vole, le nuage qui passe, ou regardant avec convoitise l’ouvrier libre qui circule parmi les fleurs épanouies dans le jardin des employés. Deux fois par semaine, les détenus reçoivent la visite des personnes autorisées à les voir ; c’est dans ces circonstances que la prison se montre dans toute son implacable brutalité. Les parloirs sont composés d’un double rang de cellules placées face à face et séparées par un couloir qu’un surveillant parcourt incessamment ; on peut se voir, mais à travers les mailles d’un treillage de fer ; on peut se parler, mais à voix haute et près d’une oreille aux aguets ; les parloirs de famille même, ceux que le détenu appelle volontiers le parloir de faveur, et où jamais on ne l’empêche de se rendre, à moins qu’il ne soit au secret, sont divisés par une grille ; on ne peut ni se donner le baiser de consolation ni se serrer, la main. Ce sont là des nécessités cruelles et qu’il faut subir ; tout secret appartient d’abord à la prison, le détenu n’en a plus que l’écho. Les lettres qu’il écrit, à moins qu’elles ne soient adressées à ses juges, au préfet de police, aux chefs de service, sont lues avant d’être expédiées ; celles qu’il reçoit sont lues avant de lui être remises. Aussi le greffier chargé de cette pénible mission est-il fort occupé au moment des deux distributions réglementaires que la poste fait chaque jour dans les prisons.

Les punitions sont rares et fort douces ; nul, si ce n’est le directeur lui-même, après rapport des surveillans, enquête sur les faits reprochés et interrogatoire du détenu, n’a le droit d’en appliquer. Le pouvoir discrétionnaire du directeur n’est pas excessif. Toute punition qui dépasse cinq jours de cachot ne peut être infligée que