Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une salle d’attente, puis il est conduit devant le greffier de service, qui, sur un registre paraphé à chaque page par le secrétaire-général de la préfecture de police pour les maisons de détention, par le procureur impérial pour les maisons d’arrêt, relate minutieusement le signalement du détenu, les vêtemens qu’il porte, son état civil, la transcription des actes qui ordonnent le dépôt ou la détention, la transcription du jugement, la date du commencement de la peine, l’époque à laquelle celle-ci doit prendre fin ; cette formalité s’appelle l’écrou, vieille locution, gardée intacte à travers les siècles, qui dérive d’un mot de basse latinité, scrua (de scribere sans doute), et qui signifie cédule. Dès lors le détenu est écroué, il appartient à la prison, qui répond de sa personne, de ses faits et gestes, et où il n’est plus connu ni désigné que par un numéro d’ordre, mesure délicate et prévoyante qui permet à un homme « de faire son temps » sans que son vrai nom soit jamais prononcé. En sortant du bain qui lui est immédiatement donné, il revêt le triste uniforme pénitentiaire, puis il est conduit à sa cellule, s’il est dans une maison à système d’isolement, dans l’atelier, s’il appartient au régime en commun.

Les vêtemens qu’il vient de quitter sont soumis à une fumigation sulfureuse dont ils n’ont que trop souvent besoin. La chambre de désinfection, c’est le nom administratif, est située le plus souvent hors de l’enceinte réservée aux détenus. Des loques trouées, des vestes élimées, des pantalons effondrés, pendent au milieu d’une fumée intense qui saisit à la gorge et fait pleurer les yeux : cela ressemble au vestiaire funèbre d’une morgue vu à travers le brouillard. Après vingt-quatre heures, lorsqu’on pense que tout ce qui vivait sur ces pauvres guenilles est mort, les vêtemens sont plies avec soin, enveloppés dans une serpillière, numérotés et déposés dans un local spécial qu’on ne peut guère parcourir sans émotion. Là en effet on peut apprécier le dénûment presque absolu des malheureux sur qui la justice vient d’appesantir sa main. Ces petits paquets qu’un enfant emporterait facilement sous le bras sont toute la fortune de pauvres diables qu’une mauvaise pensée a jetés dans le vol. Est-ce la débauche, est-ce la paresse qui les a faits, si pauvres ? On ne sait, mais il est difficile de n’être point pris de commisération. Les souliers percés, rapiécés, éculés, béans, les chapeaux bossues, rougis, déformés, sans coiffe, parfois sans fond, racontent mieux que tout récit les nuits pluvieuses passées dehors, sur les tas de cailloux des boulevards extérieurs, dans les fours à plâtre, sur les talus des fortifications. Rien ne donne une idée plus navrante du vice crapuleux et de la misère rachitique que ces informes défroques dont l’odeur même ne serait pas tolérable, si le soufre en brûlant ne les avait purifiées.