Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une fois de plus le mouvement était prouvé par le mouvement même. Aussi, lorsque le projet de loi revint à la chambre des députés, il fut adopté dans la séance du 18 mai 1844, et il consacrait pour les détenus le principe de l’isolement. La cour de cassation et les cours royales, consultées par le gouvernement, l’approuvèrent à une majorité considérable, 24 sur 28, y compris la cour de cassation. Malgré tant d’encouragemens, malgré les efforts de la magistrature et des spécialistes, la question était suspendue et ne revêtait pas la formule législative qui seule pouvait la faire inscrire dans nos codes. On semblait oublier tous les enseignemens de l’histoire, on ne se souvenait pas des plaintes du passé, on ne tenait pas compte de tous ces rapports de police à chaque page desquels on peut lire : « un tel est à surveiller à la fin de sa détention, car son séjour en prison le rendra redoutable, » et l’on avançait avec une lenteur désespérante. Le projet de loi, élaboré depuis 1840 et qui traînait de portefeuille en portefeuille, fut approuvé le 24 avril 1847 par une commission de la chambre des pairs. On pouvait espérer qu’on allait enfin sortir de cet interminable provisoire ; la révolution de février survint, tout fut remis à d’autres temps. Aujourd’hui la matière n’est réglée que par des arrêtés ministériels, par des ordonnances préfectorales, et nous attendons encore une loi sur le régime intérieur des prisons. Dans l’état des choses, l’unité de principe qui doit servir de base à toute institution fait défaut à notre système pénitentiaire ; en réalité, ce système se trouve absolument subordonné aux exigences des locaux ; vieilles abbayes, anciens châteaux, prisons nouvelles, qui lui ont été consacrés selon des besoins provisoires devenus définitifs ; l’emprisonnement n’est pas en rapport avec le crime commis, ni avec la peine prononcée ; il est en commun ici, là il est cellulaire. Pourquoi ? Parce que la maison de détention est disposée de telle ou telle façon. Il n’y a point d’autre motif, et je m’étonne que l’administration française puisse s’en contenter.

De grands progrès ont été cependant accomplis. Dans un rapport lu le 5 juillet 1843 devant la chambre des députés, M. de Tocqueville fait remarquer avec raison que le devoir pour l’état de nourrir les prisonniers est une obligation toute moderne qui n’a pas été acceptée sans luttes. Une circulaire de l’an IX recommande « de ne procurer le pain et la soupe aux détenus qu’en cas d’indigence absolue et constatée. » Certes on n’en est plus aujourd’hui à discuter de telles hérésies ; mais il ne faut pas croire qu’elles n’ont point laissé quelques traces, encore trop visibles, dans nos institutions. L’état, par un esprit d’économie qui dans l’espèce paraît excessif, cherche à se décharger en partie des frais qu’entraîne inévitablement l’entretien des maisons de force et de correction. Pour arriver à ce