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rampant, et où l’on enferme jusqu’à cinq détenus. Même en été, l’air n’y pénètre que par une petite ouverture de trois pouces, percée au-dessus de l’entrée, et lorsqu’on passe en face, on est frappé comme d’un coup de feu. Ces cachots, n’ayant de sortie que sur les étroites galeries qui les environnent, ne reçoivent pas plus de jour que ces souterrains, où l’on n’aperçoit aucun soupirail. Le Grand et le Petit-Châtelet sont encore plus horribles et plus malsains. » Du reste, si l’on veut savoir à quoi s’en tenir sur les prisons du Châtelet, il faut lire l’Enfer de Clément Marot, qui, en 1515, y fut enfermé « pour cause de religion, » et à qui le souvenir de ce qu’il avait supporté inspira son poème.

Lorsque dans ces prisons, que notre imagination est impuissante à se figurer, quelque prisonnier faisait résistance, on n’y allait pas de main morte. Le 11 juin 1723, un certain Chevet, détenu au For-l’Évêque parce qu’il était impliqué dans une affaire de banqueroute reçut ordre de quitter la chambre qu’il occupait et de se rendre dans une autre. Il refusa d’obéir, on voulut le contraindre ; mais, ayant trouvé moyen de s’armer d’une fourche et d’un couteau, il se mit en rébellion ouverte. Le lieutenant criminel et le procureur du roi, mandés à la hâte, imaginèrent un moyen fort simple d’apaiser promptement cette révolte individuelle : ils firent tuer le prisonnier ; puis, afin que force restât à la loi, ils intentèrent un procès au cadavre, qui fut condamné à être pendu par les pieds après avoir été préalablement traîné sur une claie jusqu’au lieu du supplice. Ce beau jugement fut sans désemparer confirmé par un arrêt de la Tournelle, arrêt qui reçut son exécution le même jour en place de Grève, et fut crié dans les rues de Paris contre Chevet, « dûment atteint et convaincu de la rébellion par lui faite à justice dans sa prison du For-l’Évêque, tenant un couteau d’une main et une fourche de l’autre. » On pourrait sans peine multiplier les exemples de ce genre. Jusqu’à la veille même de la réunion des états-généraux, la détention fut arbitraire, et le plus difficile pour un prisonnier était de trouver des juges. Les archives de la préfecture de police, si riches en documens de toute espèce, gardent un carton intitulé : affaire du comte de Sannois. Ce Sannois, ancien officier des gardes françaises, était un vieillard infirme que sa femme, dont il voulait se séparer, avait fait arrêter sous prétexte qu’il s’était approprié une partie de sa fortune. Enfermé à Charenton sous la garde des frères de la Charité, qui usaient plus souvent du bâton que des raisonnemens pour convaincre leurs prisonniers, il envoyait « à l’impitoyable M. Lenoir, conseiller d’état, lieutenant-général de police, son plus proche voisin de campagne, » des placets qui restaient sans réponse. Dans les mois de novembre et de décembre 1785, il adresse trente-quatre lettres au baron de Breteuil, qui n’en tient compte. Il fatiguait le