Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chambres sont larges et bien aérées, les escaliers et les corridors lavés à grande eau ; mais le guichet annonce tout d’abord qu’on pénètre dans la prison des pauvres, mais l’impitoyable nudité des murs et les fenêtres dégarnies de rideaux répandent sur toute l’habitation un air de froide charité. Dans les chambrées, les hommes qu’on rencontre témoignent par leur attitude soit une morne résignation, soit un sentiment de défi envers la société. Le droit à l’assistance est reconnu par nos voisins, et toute personne qui se présente à la porte de l’asile affirmant elle-même qu’elle n’a aucun moyen de vivre ne peut être éconduite que dans le cas où il n’y aurait absolument point de place pour la recevoir. Dans un tel état de choses, il a fallu adopter un milieu entre un régime trop sévère, qui ferait de ces établissemens un lieu de punition pour des misères souvent imméritées, et une trop grande indulgence qui, en rendant agréable le séjour du work-house, encouragerait la paresse. La devise de l’union que j’ai visitée à Liverpool est Deus nobis hœc otia fecit ; je puis assurer que ces loisirs n’ont rien d’enviable. Les hommes et les femmes, séparés les uns des autres, travaillent pour le compte de la maison, et comme ils ne reçoivent pour toute rétribution en échange de leur peine que la nourriture et le vêtement, ils mettent peu de cœur à l’ouvrage. Revêtus de la sombre livrée de l’union, ils achèvent de perdre le respect d’eux-mêmes et le sentiment de la dignité humaine,. Dans l’un des corridors, je rencontrai un enfant estropié marchant à quatre pattes ; c’était un spectacle navrant, car ce pauvre interne du work-house avait une figure intelligente. On a craint de verser trop d’attraits sur ces établissemens, et au point de vue économique on a eu parfaitement raison ; mais la presse anglaise ne cesse de signaler à chaque instant des abus et des actes de barbarie qui révoltent la conscience publique. Le système tout entier est empreint d’incurie et de vétusté. Le meilleur conseil qu’on pourrait donner aux Anglais serait d’avoir chez eux moins de maisons de pauvres et plus d’écoles. Le moyen de combattre victorieusement le paupérisme ne consiste pas tant à aider l’homme qu’à lui fournir les moyens de s’aider lui-même.

Dans les temps d’élection, seize aldermen président dans les seize quartiers de la ville aux opérations du vote. Le maire et les membres du conseil ont naturellement une couleur politique : les uns sont libéraux, les autres tories ; mais ces nuances d’opinion n’ont absolument rien à faire avec les fonctions municipales. Comme ils ne sont d’ailleurs ni nommés par le gouvernement, ni chargés de faire prévaloir aucun système, leur influence toute personnelle se limite à l’estime et à la confiance qu’ils inspirent. L’ambition de chacun d’eux doit être de conduire les affaires de la ville d’après le vœu des administrés. Un homme se trompe aisément sur les affaires des autres ;