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occupe dans Liverpool des quartiers-généraux dont les limites sont parfaitement tracées. Le Dr Trench publie d’année en année des cartes très intéressantes sur lesquelles les diverses parties de la ville où le fléau se tient en permanence sont marquées de points rouges. On peut ainsi reconnaître à première vue où se trouvent situés les districts de la peste, les champs de la mort, et ce sont invariablement ces longues rues étroites, courant du nord au sud, fermées aux brises de mer, entrecoupées de cours humides et de tortueux passages, chargées d’un excès de population misérable. L’une de ces rues (Albert street) ayant été assainie, il y a deux ou trois ans, le typhus disparut. L’air, la lumière, l’eau, l’espace, sont les génies du bien devant lesquels s’évanouissent les plaies de la vieille Égypte. Il y avait pourtant un obstacle contre lequel venaient échouer tous les efforts de l’administration locale : c’était toujours l’entassement des familles dans des chambres beaucoup trop étroites pour les recevoir. Quel moyen de forcer l’entrée de ces repaires ? On connaît le respect de nos voisins pour l’inviolabilité du domicile ; le seuil du pauvre est aussi sacré que celui du riche, et ne peut être franchi que dans des circonstances extrêmes ; mais, comme il y avait péril en la demeure, le conseil municipal n’hésita point à se servir des armes que lui fournissait la nouvelle loi (1866). Toutes les classes de la société n’avaient-elles point un égal intérêt à chasser de la ville l’ennemi qui la dévore, et qui, cantonné dans certains quartiers malsains, fait tout à coup des sorties sur d’autres districts ? La peur est l’aiguillon de la nécessité : on se soumit à une mesure fort arbitraire sans doute et tout à fait contraire aux mœurs anglaises, mais qui devait réduire les causes de mortalité dans la ville de Liverpool.

L’officier médical ayant déterminé ce qu’il fallait de pieds cubiques d’air pour chaque personne vivant dans une chambre, des règlemens (bye-laws) furent édictés en conséquence par le comité de salubrité publique. Jugeant d’ailleurs que ces instructions seraient lettre morte, si elles n’étaient appuyées par l’action de l’autorité municipale, le conseil prit des mesures pour que force restât à la loi. La ville fut partagée en huit districts, et dans chacun d’eux on envoya un inspecteur chargé de mesurer et d’enregistrer les maisons occupées par plus d’une famille. Il ne faut pas perdre de vue que les habitudes anglaises diffèrent beaucoup des nôtres ; chacun tient à avoir son chez-soi (home), et c’est seulement dans certains quartiers habités par des commis de magasin, des ouvriers, des hommes de peine, que s’est répandue l’industrie de diviser les habitations entre plusieurs locataires. Les huit inspecteurs notèrent sur un livre l’étendue et la hauteur de chaque chambre dans