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vivait encaissée dans des rues étroites, couchait la nuit dans les caves (cellars), et habitait pendant le jour des cours humides, infectes. Le service des balayeurs était négligé, et les pluies du ciel se chargeaient seules de laver le pavé de certaines allées ténébreuses. Pour réagir avec énergie contre ce déplorable état de choses, le conseil municipal avait besoin d’un acte du parlement ; cet acte fut obtenu en 1846 (sanitary act). Armé des pouvoirs que lui conférait la loi, le comité de salubrité publique s’adjoignit un médecin (medical officer), un ingénieur, et se mit bravement à nettoyer les écuries d’Augias. Il était temps, car à peine avait-on commencé cette œuvre herculéenne, que la famine s’abattit sur l’Irlande, et que la ville de Liverpool fut inondée par des flots de malades et d’affamés venus de l’île sœur. Ces malheureux, sans gîte, sans aucun moyen d’existence, retrouvèrent l’entrée des anciennes caves que le conseil municipal avait fait murer. Les rues se remplirent de livides spectres implorant en silence la charité publique. Plusieurs de ceux qui allèrent leur porter secours prirent la fièvre et moururent. On calcule qu’il y eut un moment dans la ville 100,000 Irlandais, hommes, femmes, enfans, dépourvus de toutes ressources. Les quartiers pauvres eurent beaucoup à souffrir d’une telle invasion : qu’eût-ce été si le service médical n’eût combattu quelques-unes des conséquences les plus funestes pour la santé publique ? Liverpool venait d’échapper à cette calamité quand éclata le choléra-morbus. Les mesures prises au nom du sanitary act atténuèrent sans doute les ravages de l’épidémie. En 1861, un nouvel ennemi, venu l’on ne sait d’où, le typhus, apparut, et depuis lors n’a plus quitté Liverpool. Les fléaux ont du bon : ils avertissent les pauvres et les riches des dangers qui les menacent, les uns en négligeant d’observer chez eux les lois les plus élémentaires de l’hygiène, les autres en ne portant leur attention que sur certains quartiers de la ville et en laissant se former dans les rues adjacentes des foyers perpétuels de mortalité. C’est en effet à dater de l’invasion du typhus que le conseil a vraiment compris le besoin d’attaquer et de détruire les nids de la peste. La sécurité de tous y était intéressée, et les maisons insalubres, dont quelques-unes appartenaient à la ville, ont été impitoyablement démolies[1].

Dans un pays où rien n’est abandonné à l’arbitraire, il n’est point

  1. J’ai vu dans les bureaux de M. James Newlands, ingénieur en chef du comité de salubrité publique, le modèle en bois de ces anciennes maisons, qu’on tient à conserver comme souvenir d’un passé douloureux. On entrait dans ces antres de la misère en descendant quelques marches, et, une cave servant de logement à une famille communiquait avec une étroite cour assombrie par des bâtimens de briques délabrés se succédant, ainsi que les cours, de distance en distance. Il existe encore à Liverpool des masures, qui affligent les regards d’un étranger) mais tout annonce qu’elles ne tarderont point à disparaître.