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témoignait assez ce soir-là le respect et l’admiration sincère qu’il professe pour une des gloires de la littérature moderne, l’auteur de Pickwick papers, d’Oliver Twist et de David Coperfield. Croire que le commerce et les intérêts matériels détournent les hommes du culte de l’intelligence est un préjugé démenti par ce qui se passe chez nos voisins[1]. A la fin du banquet, Charles Dickens se leva. « Je vous propose, dit-il, un toast inséparable de l’honneur et de l’esprit public de Liverpool, inséparable des nobles monumens et des belles rues qui nous entourent, inséparable des hôpitaux, écoles, bibliothèques ouvertes à tous, qui ont fait de cette ville un exemple pour l’Angleterre ; je vous propose de boire un toast au maire et à la corporation. » Cette phrase n’était point un vain compliment. Tous les Anglais qui connaissent bien leur pays attribuent la grandeur des villes et le génie d’entreprise aux libres institutions municipales.

La ville de Liverpool se divise en seize arrondissemens ou quartiers, dont chacun élit un alderman (échevin) et trois conseillers, counsellors. Tout homme âgé de vingt et un ans, ayant occupé pendant trois années une maison ou une boutique dans les limites du bourg (borough) et ayant payé à quelque paroisse la taxe des pauvres, a le droit d’être placé sur la liste des bourgeois, burgesses, et de donner son vote. Les seize aldermen et les quarante-huit conseillers forment le conseil municipal (town council), qui se renouvelle annuellement par tiers[2]. Ses prérogatives sont très étendues et tout à fait indépendantes du gouvernement central. La reine peut dissoudre le parlement, qui oserait jamais destituer les membres d’un conseil municipal ? Il a le pouvoir de nommer à certaines fonctions, de faire lui-même la police de la ville, de paver et d’éclairer les rues, de veiller à la salubrité publique, en un mot de régler tous les intérêts de ses délégués. C’est un principe de la constitution anglaise que les personnes et les associations (communities) doivent jouir du droit d’administrer elles-mêmes leurs affaires aussi longtemps qu’elles se soumettent à la loi du pays. Or les villes sont des associations d’habitans, et il est naturel de penser qu’elles savent ce qui leur convient beaucoup mieux que des administrateurs étrangers, animés sans doute de bonnes intentions, mais auxquels manque

  1. J’avais assisté quelques jours auparavant au dîner annuel de la Société philomathique (Philomathic Society), instituée pour favoriser le développement des arts, des sciences et des lettres. L’éminent professeur Huxley, qui était venu tout exprès de Londres, fit un excellent discours sur l’éducation. J’ai rarement vu un auditoire aussi attentif et aussi curieux de recueillir les enseignemens de la philosophie naturelle.
  2. Les conditions électorales et administratives de ce conseil ont été réglées par le municipal corporations act, qui fut voté en 1833.